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articles et entretiens publies

André Moumen Achour, 4 ème partie : l'abus de confiance

6 Mars 2021 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité, #peinture et poésie, #poèsie et arts plastiques, #publié dans Kabyluniversel

 

L’élève et le maître

            André Moumen, c’est aussi l’attachement au Maître. Cette relation fusionnelle à distance, se traduit par une communication quasi-permanente. Je le découvris à la même période de la réalisation des œuvres sur la migrance. Moumen m’avait parlé d’un concours pour la réalisation de la statue de Massinissa, premier roi berbère connu, à Alger. Jusque-là, cela ne m’a pas accroché ne connaissant pas Monsieur Boulaine, ce compatriote qui vivait à Toulouse et qui était sculpteur, d’après ce que j’ai saisi. Moumen me disait qu’ils allaient réaliser cette œuvre comme un retour triomphant vers Alger qu’ils ont dû quitter sous la menace terroriste. Cela restait pour moi, un simple concours de circonstances et cela m’étonnait qu’on offre ce travail sur un plateau à d’illustres inconnus loin du bled, alors que les affaires se traitaient en coulisse, sur place. Je sais qu’on ne s’aventure pas à libérer la création artistique dans cette contrée. Elle n’est qu’un moyen de survie politique.

            Puis, un jour, dans la blancheur des neiges parisiennes, Moumen me parut sombre et agité. Que se passait-il ? Il me dit qu’Alger ne les avait pas retenus, alors qu’ils avaient fourni beaucoup d’effort, qu’ils se sont même déplacé à Rome, pour visiter le musée de la ville. Je commençais à dresser mes oreilles devant ces détails qui révélaient l’intérêt sincère et non matériel, de ces deux artistes pour la réalisation de cette œuvre…

            Il me parla de la déception de son Maître qui avait espéré revenir au pays par cette porte.   Je le sentais vraiment peiné pas pour avoir raté ce marché, mais surtout, pour la déception de son maître qu’il devait accompagner dans cette réalisation.

            Mais qui était ce maître ?

Je lui demandais de me mettre en contact avec lui, s’il voulait communiquer bien sûr, sur cet événement.

            C’est ainsi que je découvrais, par la voix, le Maître en sculpture, Boulaine Khoudir, originaire de Bejaia en Kabylie Algérie, par qui cette discipline est arrivée à l’école supérieure des beaux-arts d’Alger ! Maître Boulaine me conta sa révolte, ses déceptions et la nécessité de se réapproprier l’histoire artistique de notre pays. Cela fit l’objet d’un entretien fleuve paru dans un quotidien papier en Algérie et dans la presse électronique. Le titre en lui-même avait bousculé la hiérarchie algéroise : "Sur les traces de Massinissa ou l’arnaque algéroise."

          

L’abus de confiance :

            Aujourd’hui, en pleine troisième vague de la pandémie Covid-19, Moumen me parle d’une autre arnaque, cette fois parisienne. Je ne voulais pas me détourner de mon propos artistique, mais son désarroi devant ce monde sans pitié des arnaqueurs, ne me laisse pas indifférent.

            De quoi s’agit-il ?

            Pendant le chantier de la « migrance », André m’avait effectivement parlé d’un sponsor qui s’était engagé à lui réaliser le coulage de trois œuvres en cours. Il devait en réaliser deux copies originales de chaque œuvre : l’une pour le collectionneur l’autre pour les besoins de l’artiste qui doit aussi récupérer ses moules et bien sûr, recevoir une contrepartie financière. J’étais content pour lui et l’encourageais à la prospection d’autres débouchés. Je lui avais proposé le musée de l’émigration avec qui j’ai discuté l’éventualité de contribuer à leur revue à travers des textes et des photos des œuvres d’André Achour. Ça motivait un peu plus ma fréquentation quotidienne de l’atelier. Je prenais des vidéos, avec mon téléphone, où j’essayais de faire parler l’artiste pendant qu’il travaillait.

L’arnaque parisienne

            La pandémie nous a tous cloués dans nos périmètres privés. Depuis mars 2020, à la veille de rejoindre Paris, la fermeture des frontières me retint, depuis, en Algérie. Donc c’est de là, que j’ai appris la mésaventure de l’artiste plasticien André Moumen Achour qui me la raconta, alors qu’il sortait de sa convalescence due à la covid-19.

L’artiste se confie :

Parler de mon sponsor qui s’est avéré être un escroc me fait mal, parce que l’artiste n’aime que le beau dans l’humain. Il m’a été présenté lors d’une exposition collective à Choisy Le Roi. On s’est échangé les coordonnées. Par la suite, on se rendait visite réciproquement. Il appréciait les œuvres que j’avais réalisées et qui étaient entreposé chez moi. Il a surtout flashé sur deux discoboles grecs que j’avais réalisés à l’école supérieure des beaux-arts de Paris. C’est un collectionneur d’art amateur. À sa demande, je lui ai cédé ces deux merveilles pour un prix symbolique. Il m’a promi de me réaliser un atelier, mais rien à ce jour. On était devenu de bons amis. Il me promit de sponsoriser mes futures œuvres. Je le crus. Je l’en remerciais, naïvement, me voyant libéré des contraintes financières. Il insistait que dorénavant, il serait à ma disposition ! Pour un artiste, le sponsor est très important. J’étais confiant.

Plus tard, il a même essayé de me déposséder de ma propriété composée de ma maison et de son jardin. Il me disait qu’il allait tout raser et construire un bâtiment où j’aurais mon logement et un atelier. En attendant il me déménagera dans son atelier… Heureusement que je ne l’écoutais pas. Pendant tout ce temps j’attendais le coulage en bronze de mes œuvres, comme il s’était engagé à le faire. Chaque fois il me faisait patienter, pendant plus de deux ans et demi, maintenant ! Voyant que cela s’éternisait, j’ai demandé à récupérer mes moules ! À chaque fois que je lui en parle, il détourne la discussion et trouve des excuses pour ne pas les restituer.

À chaque fois je l’appelle il me dit toujours, au moins je vais t’en faire couler une en Bronze, d’autres fois, il ne me répond même pas au téléphone, même si je lui laisse un message. Il sait bien que je vais lui parler de mes moules. À chaque fois que je l’ai eu, il trouve une excuse pour dire n’importe quoi, mais jamais la vérité. Il cherchait à m’embrouiller.

Un jour il m’appelle, c’était au mois de mai 2020, il me dit je suis en Belgique, je lui dis je suis en train de couler un moule en poudre de marbre et du ciment blanc, je fais une expérience !

Il me dit : mais tu es toujours au travail ! Comme s’il me croyait découragé. Je lui répondis : oui, justement je fais cette expérience pour récupérer mes moules et pour les couler avec la même technique. Sa réponse par un « ah ! Oui ! » a trahi ses attentes. J’insistais pour lui faire comprendre que je tenais à mes œuvres et mes moules.

Alors, il lâcha : tes moules, ils sont partis dans la déchetterie. Depuis, j’ai tout essayé pour lui faire entendre raison. Il est allé jusqu’à me menacer de porter plainte contre moi pour diffamation et de me réclamer 50 000 euros de dédommagement !

C’est en juillet 2020 que j’ai décidé de porter plainte pour abus de confiance, après avoir pris conseil.

 

Question d’actualité :

            La question de la survie de l’artiste et de l’évolution de l’art dans sa splendeur revient quotidiennement au centre des débats sans pour cela trancher la question. On en demande trop à l’artiste englué dans ses visions. Il devrait y avoir des structures d’assistance juridiques et des centres d’accompagnement d’artistes porteurs de projets maturés.

            Puisse la justice rendre ses œuvres à André Achour qu’il puisse les exposer à tous les publics au leu d’enrichir le parc d’un particulier véreux.

André Achour au prise avec la fabrication des moules de ses œuvres

Mhamed Hassani

Poète dramaturge romancier

Chroniqueur culturel

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André Moumen Achour, 3ème partie: Migrance.

6 Mars 2021 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #poèsie et arts plastiques, #publié dans Kabyluniversel

       Lors de nos pérégrinations parisiennes, je surprenais souvent André en train d’esquisser des formes sur son carnet ou… bizarrement, dans l’espace. Quand il croisait mon regard curieux, il me disait, dans un roulement de tambour lointain « Ce visage, je peux le faire d’un trait ! »

André Moumen Achour en pleine performance lors de mon café littéraire à "L'impondérable" Paris 2018

            Je ne sais pas pourquoi, il trouvait mon visage compliqué : il y trouvait trop d’émotions instables ou d’inquiétudes déstabilisantes. Il me rate à chaque fois, jusqu’à la réalisation de mon buste. Ce jour-là, il s’est esclaffé : je t’ai eu quand même !

Migrance

            Cette fin d’année 2017 et début 2018 m’ont surpris avec leurs neiges à Paris. Je me suis laissé vivre aux plaisirs du froid parisien, façon de pousser plus loin mes désirs de sensations nouvelles. Pousser le corps au-delà de ses limites habituelles. Le sentir s’adapter en frissonnant de plaisir. J’imagine les siècle obscurs que l’homo sapiens a traversé avant d’arriver au système de chauffage moderne. Paris et son réseau souterrain sont une aubaine pour les migrants des continents chauds.

            Migrant. Le mot est lâché. Des étendues océaniques traversées par des barques aléatoires. Des peuplades en dérive continentale. J’ai rendez-vous avec mon ami, l’artiste plasticien André Moumen Achour. Il m’avait annoncé avec grande pompe qu’il vient de récupérer les clés de l’atelier de son ami Diop Diadji. Un grand artiste originaire du Sénégal, parti dans son pays d’origine, pour une biennale. Moumen voulait en profiter pour lancer le projet artistique qu’il porte en lui depuis quelques mois. Neuf mois ? Lui dis-je en éclatant de rire ! Tu peux le dire me rétorqua-t-il, le regard brillant. Je vais enfin le réaliser, si tu veux m’accompagner dans l’accouchement ! Éclata-t-il encore une fois ! On était vraiment heureux et complice !

            On se retrouva gare de Joinville pour prendre le RER et d’autres correspondances, à travers un monde blanc et les flocons de neige qui continuaient à voltiger dans les airs. Je me sentais joyeux, comme un enfant échappé de son quotidien.

            Arrivé devant un portail métallique, Moumen ouvrit une serrure et nous voilà à l’intérieur d’un jardin avec villa en étage et au fond, l’atelier. Nous allâmes directement dans ce dernier pour allumer le feu, c’était l’urgence.

            À l’intérieur, on était vraiment dans un atelier de sculpteur. Pour la première fois, j’entrais dans l’antre d’un sculpteur. Des statues, des figurines me regardaient et je ne pouvais m’empêcher de courir vers elles, pour les toucher, les caresser, les inviter à m’accepter et me parler.

            On situa rapidement le poêle à bois. Moumen se met sur le champ à l’œuvre pour ramasser tout ce qui peut faire feu. Bois, planches… Tout y passa. Moi, je tournais toujours d’étagère en étagère, puis je scrutais les outils du sculpteur accochés sur toute la surface d’un mur. Le sculpteur est un véritable manuel, un ouvrier polyvalent… Et c’est ce qui me fait rêver devant tous les artisans que je connais au pays. L’étincelle qui brille dans leur regard quand ils approchent de la perfection.

Moumen m’appelle : le feu est allumé, viens te chauffer !

J’étais figé devant une affiche montrant la sculpture d’un nageur qui sortait de terre, ramant d’un bras. Cette statue me rappelait quelque chose. Me voyant absorbé, Moumen m’éclaira : c’est la statue du Nageur, devant la porte dorée. Oui ! Je l’ai vue ! m’exclamais-je.

Oui, c’était l’œuvre de Diope, le propriétaire de l’atelier.

Le feu allumé, Moumen se frotte les mains, le regard brillant posé sur un grand cube de polyester blanc. Il s’avance vers lui, le tapote tourne autour… Je lui demande :

  • C’est quoi ?

  • C’est du polyester que je vais tailler pour gagner du temps et économiser l’argile.

  • Comment ?

  • Tu vas voir. Je vais le dégrossir, jusqu’à avoir un ballon et je vais le finir avec l’argile.

  • Mais c’est quoi la forme finale ?

  • Je ne l’ai pas dit ? C’est le globe terrestre ! L’être humain ne sait pas où il va tomber, naître, mais peu importe, les événements le mèneront à travers le globe…

 Dans ma tête, l’arche prend forme… Un seul mot recouvre la future œuvre en gestation devant mes yeux : MIGRANCE. 

            à suivre

 

Mhamed Hassani

Poète dramaturge romancier

Chroniqueur culturel

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8 Juin 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #roman, #peinture et poésie

                                                    les mots du musicien

             Quand un lecteur sort de l’anonymat pour me parler, c’est un réel plaisir de l’écouter ; quand il m’écrit, le plaisir est double et je me dis que c’est une aubaine que des ponts se construisent avec des mots.

         Même avec du retard pour cause d’espoir de vous rencontrer, je voudrais vous faire parvenir, cher monsieur Ronchaud, mes salutations respectueuses et vous remercier pour cette délicatesse ,toute artistique ,venant d’un musicien qui sait écouter la musique des mots.

         J’espère que vous allez bien avec votre chère compagne. Yacine m’a longuement parler de vous, de votre grande culture. J’avais réellement espéré vous rencontrer chez Yacine et discuter un moment, les événements en ont décidé autrements. Heureusement que les écrits existent pour vaincre la distance et le temps.

          Bien fort cher Monsieur Ronchaud et à bientôt, pourquoi pas?

 

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un article sur mon roman: Performance à Rocher Noir

2 Juin 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #roman

lien de l'article dans le quotidien Liberté par Ouyougoute 

https://www.liberte-algerie.com/culture/performance-a-rocher-noir-premier-roman-du-poete-mhamed-hassani-339511

Le premier roman de M’hamed Hassani, Performance à Rocher Noir (éditions Boussekine) — initialement paru aux éditions Maïa en France — n’est pas dépourvu d’intérêt, bien au contraire. Il décrit l’Algérie de la fin des années 1990, tout en fixant les yeux sur le rétroviseur de la mémoire collective : la fin de la colonisation et les débuts laborieux de la république naissante.

M’hamed Hassani en a profité, en effet, pour évoquer, de façon implicite, Rocher Noir, actuel Boumerdès, qui avait été le siège de l’Exécutif provisoire présidé depuis le 19 mars 1962 par Abderrahmane Farès. L’autre clin d’œil était destiné à Rachid Mimouni, l’auteur du Fleuve détourné, qui y a vécu avant son exil forcé au Maroc. 

L’auteur, qui a, à son actif, plusieurs recueils de poésie — écrits selon son inspiration poétique du moment soit en français, soit en tamazight —, est un ancien cadre de la formation professionnelle à Béjaïa et un militant associatif. D’ailleurs, la trame de son roman se déroule dans le cadre des “échanges officiels et culturels entre deux villes”, en l’occurrence Béjaïa et Boumerdès.

Lorsque la délégation de Béjaïa s’est mélangée avec les autres exposants, l’on a assisté à l’arrivée de la télévision d’État. L’équipe, écrit l’auteur, “glanait ses séquences au gré du déplacement du groupe d’officiels”. C’est le ton choisi par M’hamed Hassani, tout au long des 253 pages, que compte le roman.

Tout en déplorant en filigrane les budgets faramineux dépensés dans le cadre de ces échanges culturels, de ces festivals, qui n’ont aucun impact sur la vie culturelle, l’auteur n’a pas manqué de s’en prendre à cette clientèle de pseudo-artistes, de poètes officiels, qui sont là à glorifier le chef, à travers la personne du wali, du ministre, etc. 

Dans une discussion, le personnage principal, Si Lho Sine, s’est aventuré, un peu par provocation, “à médire de la poésie, qui ne nourrissait pas son homme”. L’un des présents, un poète habitué à ce genre de rencontres, “un poète officiel, lui lança, en ouvrant ses bras dans un mouvement théâtral : - Mais si ! La preuve ? Nous sommes là, pris totalement en charge durant une semaine”.

Le roman est aussi entrecoupé de longs monologues, laissant le soin au lecteur de reprendre son souffle et surtout de méditer les discours écrits sous forme de synthèse des réflexions, des discours que Lho Sine a engagés, seul ou en interaction avec les autres personnages, tout aussi intéressant, que le singulier fonctionnaire, mis au placard. “La nuit du Rocher Noir grondait et Lho Sine s’empêtrait dans les méandres de son presque demi-siècle d’errance administrative et poétique.

Les deux ne vont pas dans le même train, plutôt dans deux trains, qui se suivent. Dès qu’elles se rencontraient dans une gare, la collision était assurée. L’enjeu était à qui survivra à l’atroce confrontation de la nécessité sociale et de l’insurrection morale.” Telle est la question.

Bien que le Festival national de poésie — les fameuses Poésiades de Béjaïa — ait été un espace où le poète, qu’il est, a pu s’exprimer librement au contact des défunts Tahar Djaout, Youcef Sebti, Djamel Amrani et Ahmed Azegagh, l’auteur n’y a fait malheureusement qu’allusion à ce lieu de rencontres, devenu incontournable aux grands noms de la poésie et de la littérature algériennes, mais aussi des artistes peintres, des cinéastes, etc.
 

M. OUYOUGOUTE
Performance à Rocher Noir de M’hamed Hassani,
éditions Boussekine 2020, 253 pages.

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Re-donnée!

31 Mai 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #renouveau culturel, #publié dans Kabyluniversel

Redonnée !

            Petite randonnée, un après-midi de mai. Une journée ensoleillée et chaude. La nature est scintillante et baigne dans la symphonie des chants d’oiseaux invisibles. Je sors rapidement de mon quartier silencieux où le confinement n’existe pas. Si ce n’est la distanciation sanitaire que les gens ont fini par adopter sous l’influence des médias, le covi-19 n’a pas de carte de visite. Les signes révélateurs, ce sont peut-être les fonctionnaires et autres travailleurs de la ville qui se sont reconvertis en travailleurs de la terre. Tous les lopins abandonnés ont été défraîchis et transformés en potagers ! Et les gens sont heureux de cette aubaine. Un retour salutaire à la terre nourricière !

            Je m’éloigne rapidement du hameau pour retrouver la nature qui m’accueille à maquis déployés. Je me faufile à petits sauts de chevreau gambadant parmi les bosquets de lentisque et de genêt et autres plantes folles de verdure et de fleurs multicolores que la brise marine disperse dans les airs ! Malgré le terrain pentu, je garde le souffle léger et l’envie de grimper intact. Arrivé sur le plateau de Bou-idmimen, les aubépines, mon regard se lâche vers le littoral, à travers descentes et plaines. La ligne grise de la plage, ou se meurt la vague ensorceleuse, et la ligne bleu de l’horizon ou se meuvent les rêves insomniaques de mes vingt ans, me taquinent à distance. Le regard se suicidait et renaissait quotidiennement sur ces repères. Puis, retour pour escalader la montagne, ce refuge des tribus. Confinement historique. L’ennemi vient de l’extérieur, du côté de la mer. Mystérieuse histoire qui ne nous dit pas tout.

            L’ivresse me gagne et l’envie de courir me prend ! Le chant des oiseaux m’applaudit et la végétation m’enserre dans son vert immaculé ! Serais-je le fugitif d’une civilisation enfuie sous la pandémie citadine ? Je cours, saute, tombe et me relève sans briser ma course d’obstacles qui m’éloigne de la civilisation pour me laisser engloutir dans l’insondable univers végétal. Je m’arrête, essoufflé, dans une clairière sur le flanc du vallon profond de l’oued qui sépare deux communes, ou anciennement, deux tribus. Ça me fait penser à mes amis déracinés qui recherchent la pureté dans le retour à l’organisation primitive. La modernité leur fait peur parce qu’on n’a pas su ancrer en eux la force de l’authenticité, si bien qu’aujourd’hui, ils se retrouvent à gué, à chanter le naufrage des racines emportées par l’oued en crue.

            Les Ait n’ont pas de doute sur leur appartenance tandis que les Bou se disent trahit par la France qui les a arabisés. Ah Napoléon ! Tu nous as empoisonné l’avenir !

           

           

Aqer, le rossignol, l’oiseau des bosquets n’arrête pas de chanter, même si je n’ai pas arrêté de le piéger pendant toute ma jeunesse. Sa viande était succulente ! Malgré tout, il continue de m’émerveiller de son chant inépuisable. Il continue à être aqer le rossignol, sans changer d’un iota ! Il ne se tait pas quand je passe, il continue à chanter la mélodie pour laquelle il est né : amour, paix et profondeur. Les aqers piégés ont éduqué ma jeunesse ignorante qui vit en société. Si dans le temps je cherchais sa viande succulente grillée sur la braise, aujourd’hui son chant m’est plus précieux que tout. Désormais chasseur de clichés, je suis l’invité sur terre non plus le conquérant, le survivant d’une histoire agitée, d’une peur irraisonnée. Je fais mon discours imaginaire, perché sur une colline, face à la profondeur de l’oued bouffé par la végétation. Je fais mon mea culpa d’être humain et m’engage sur d’autres voies pour satisfaire mes besoins et celui des miens sans porter préjudice à la nature et ses habitants. Je signe la charte des droits de tous les vivants, de tous genres et de toutes espèces. Et pareil au geste auguste du paysan de Lafontaine, je sème mon message dans les maquis… Quand le braiement soudain d’un âne, juste sous mes pieds, me fit hennir de peur. L’âne prolonge son rire sonore me donnant le temps de récupérer mon honneur d’être humain civilisé. Une fois retrouvé notre calme mutuel, je m’avise de faire un selfie avec l’âne pour épater mes amis sur Facebook. Je m’approche, le téléphone en main, arme fatale qui a remplacé mon tir-boulette, pour chercher le meilleur angle d’attaque.

           

Au moment de cadrer mon âne, un chien, surgi des maquis, aboie dans ma direction, me déséquilibrant au risque de m’envoyer au fond du ravin. En brassant le vide de mes bras, je fais fuir le chien et l’âne en même temps. Alors, j’entends une voix, sortie de nulle part, me dire : qui es-tu, toi qui perturbe la quiétude de la nature ? Mon chien aurait pu te mordre ! À moins que tu préfères mon bâton de berger ?

            Je cherche la source de la voix, je découvre aemmi Moh derrière une aubépine en fleur en train de rire aux éclats ! Ah aemmi Moh, toujours le même ! Rien ne change l’olivier ancestral que le feu. Moh toujours en train de tailler son bois avec le même couteau « doukdouk ». On se salue de loin, distanciation oblige, même au maquis. Aemmi Moh, tout un pan de l’histoire de tadart remonte à la surface. Je préfère en rester là.

            Un après-midi de mai, loin de la ville et du confinement énigmatique des citadins soumis aux harcèlements médiatiques, je réapprends à vivre comme aux premiers temps. Je défraîchis, je brûle, je pioche et je plante, loin de mes performances citadines, j’assiste émerveillé, à l’apparition des premières pousses de mon potager.

Mai 2020

Mhamed Hassani

 

 

 

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7 Mai 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #poèsie et arts plastiques, #publié dans Kabyluniversel, #ta medyezt

Le texte d’introduction de l’exposition

               Quand le poète dit « ILI ! » « Sois ! » « Koun ! », c’est une interjection qu’il s’adresse à lui-même.
            Un mot d’ordre intime qui le sort de l’engourdissement quotidien ou d’une situation d’extrême désespoir, pour l’impulser dans le mouvement du monde.

              Que des artistes reprennent cette interjection pour une exposition collective, c’est qu’il y a urgence en la demeure humaine. Menacé de partout, notre liberté d’être se réduit dangereusement à un morceau de pain mal gagné et une survie mal entretenue. 
               Alors « ILI !» pour que chacun revive de son être et continue à contribuer à construire l’être humain
.

                                                 Mhamed Hassani

voir la vidéo sur youtube

https://youtu.be/Tnba0edklnM

 

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La fugue

30 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité, #nouvelles littéraires, #publié dans Kabyluniversel

Enfermement 4

La fugue

 

      

   Aujourd’hui, c’est le tour des poubelles. Les déchets encombrent le balcon, il faut bien s’en débarrasser et pour cela, il faut bien sortir ! Ultime parade, sa femme consent à le libérer. Trois jours sans sortir, il commence à s’adapter à ce rythme, qui lui paraît raisonnable. Vivre confiné, une fiction réalisable, pense-t-il, avec toutes ces perspectives de guerre bactériologiques et covi-19 en fait partie, pour certains esprits avertis ! Bon, mais nous citoyen lambda on est terre à terre, on vit au rythme de notre présent. Donc aujourd’hui, évacuation des déchets vers le coin désigné à cet effet, situé à 300 m de chez lui. Un simple trottoir où tout le quartier dépose ses ordures. Il s’équipe comme il peut : la même tenue, veste et pantalon, plus une bavette artisanale confectionnée par sa chère femme et un casque qu’il a confectionné lui-même avec un plastique de couverture récupéré et un élastique. Il est prêt pour l’expédition.

       Sa pigeonne couve toujours dans son coin, depuis qu’ils lui ont foutu la paix, ils attendent impatiemment la couvée… Bavette sur la bouche et le nez, masque sur le devant du visage, gel antiseptique en poche, poubelle pendante à chaque bras, le voilà descendant l’escalier prêt à affronter l’extérieur.

          Sortir du bâtiment pour entrer dans la lumière du jour. Aveuglément. Adaptation, regard alentour, découverte du monde extérieur, désert. Des silhouettes çà et là. Premier magasin d’alimentation, le plus proche, destination de ses sorties alimentaires à 200 m. Il le dépasse allègrement, juste un regard explorateur sur la porte ouverte mais obstruée d’une table comptoir. Personne en ce moment. Un arrêt de bus vide. Quelques véhicules passent, de temps en temps, furtifs. Il traverse la rue. La décharge est de l’autre côté. Il dépose ses sachets bien remplis et humides sur le trottoir déjà encombré. Il se frotte les mains, pour faire tomber d’éventuelles particules invisibles. Il sort son gel, se nettoie les mains en marchant sur le chemin du retour.

        Retour ? Pourquoi ? La cage d’escalier puis l’autre cage, une succession de cage qui rebute. Il regarde les quelques silhouettes qui circulent à des distances plus que sécuritaires ! Pourquoi pas ? D’un coup, il change de direction. Il marche vite en lançant des regards à gauche et à droite. Il se sent sous surveillance. Il marche de plus en plus vite. Il s’éloigne de sa cité. Il bifurque, change de trottoir à plusieurs reprises. Tentative désespérée de semer l’ennemi invisible ou de se semer ? Rire nerveux. À partir de ce moment il ne s’appartient plus. Il se voit réintégrer le monde.

            Il sort du bétonville et prend à travers les champs. Une route qui mène vers la mer. Il se sent déjà mieux entre les clôtures des deux vergers d’orangers qui délimitent la voie qui mène à la plage. Il enlève furtivement son masque, puis sa bavette. Il respire un bon coup de bonheur. Il sourit au ciel complice et aux arbres approbateurs. Il voit un papillon blanc, un petit papillon qu’il a du mal à suivre du regard sans ses lunettes, rangées dans sa poche. Marcher, soleil printanier sur son visage, lui arrache sourire. Marcher, se déplacer entre haies fleuries. Silence et chants d’oiseaux invisibles. Brise marine caressante, souvenir d’un autre temps. Marcher vite, le corps se propulse, l’esprit le calme. Marche calmement lui souffle-t-il dans la brise, la nature te regarde, t’évalue, te récupère à petites doses.

         Au bout du chemin, une montagne de déchets de matériaux de construction : plâtre, morceaux de mur en parpaing, sacs de ciment vides… Il grimpe sur les débris, pressé de voir la vague, le large, l’immensité bleu ! Il faillit tomber, plusieurs fois, avant de se retrouver dans le terrain fait d’amas de terre déposés là, depuis plusieurs saisons, maintenant couvert de végétation. Au loin l’horizon bleu. Son cœur bat et il avance à l’aveuglette. Tantôt dans un creux, tantôt une colline, avec les herbes et arbustes jusqu’à la taille. Arrivé à l’extrémité du plateau, il se retrouve au bord de la bande sablonneuse qui mène à la mère agitée ; il reste un moment à la dominer, le torse gonflé et le regard conquérant. Puis, il déboula la pente argileuse pour sentir ses pieds s’enfoncer dans le sable moelleux. Involontairement, il se met à courir dans l’étendue silencieuse et offerte, à la rencontre de la vague qui patine dans sa direction. Il s’arrête, se retient pour ne pas courir. Regarde autour de lui. Rien, aucune présence humaine. Quel réconfort ! Quelle sécurité ! Il se met à tourbillonner les bras en hélices. Des oiseaux s’envolent de-ci de-là, pas du tout effrayés, plutôt dérangés. Quel calme et quelle paix loin des humains ! Loin des humains ! Drôle de sensation tout à coup ? Les humains s’étaient mis en société pour se sécuriser, non ? Voilà qu’ils se fuient pour se sécuriser ! Sourde panique, mais heureux, momentanément, d’être seul, pas définitivement ! reconnait-il, presque à haute voix.

         

       

Il marche, nonchalant à quelques mètres de la vague un peu agitée. Il redevient un peu celui de tous les jours d’avant, faisant sa promenade pour se réconcilier avec lui-même, son entourage et le monde. Puiser un peu de sérénité au fond de soi, loin des bousculades du présent, des jeux de contrôle et de diversion. La pandémie redistribue les cartes, pouvoir et société se jaugent sur la base des initiatives de terrain. Demain se joue aujourd’hui disent certains pendant que d’autres suggèrent que tout est joué d’avance, dans les séries de science-fiction. La pandémie se décline en termes de contrôle des sociétés. Ce n’est plus une maladie, mais le virage technologique de l’humanité. Il marche et il mâche sa vision étriquée des prochaines années, quand il sera loin de ce monde perturbé. Il jettera un regard, toujours intéressé, sur ce monde que nous n’avons pas su gérer. Il marche et il mâche sa joie de marcher comme un chewing gum qui perd de plus en plus de son goût énergisant, à l’approche de quelques humains qui traîne un chien ou un enfant surexcité. Il remet sa lingette et son casque, remonte lourdement vers son bétonville, retrouver ses cages, sa pigeonne et sa compagne, son confinement sanitaire, après une douche soulageante et la désinfection de ses attraits, qu’il suspendra jusqu’à la prochaine sortie.

            Essoufflé, il regarde les infos, simultanément, sur plusieurs chaînes de télé et sur son smartphone qu’il avait abandonné sur la table. Une douche d’information qui lui fait aimer son confinement, sa prison. Le monde s’accélère sur les plateaux de télévisions et les fils d’actualité de son téléphone. Il s’enfonce dans cette agitation virtuelle pour plonger, doucement, progressivement, enroulé sur lui-même, dans un sommeil fœtal. Il n’est pas encore né. Il est confiné dans le monde d’avant.

 

Avril 2020

Mhamed HASSANI

 

 

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Enferment évolutif 2 Le couple de pigeon

19 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #articles et entretiens publiés, #publié dans Kabyluniversel

 

Le couple de pigeons

     

     

     J’en viens à l’objet de mon propos. Oui, je voulais parler de ce couple de pigeon qui vient d’élire domicile dans la cage d’escalier ; sur un bord de quelques centimètres, il a bâti son nid. Je m’en suis rendu compte hier matin. C’était mon jour de sortie pour les commissions. Je les ai trouvés affairés quand ils m’ont vu sortir, du néant pour eux, ils se sont arrêtés, m’ont scruté un bon moment où j’étais moi-même figé. Quand ont-ils eu le temps ? Me dis-je surpris. J'ai appelé ma femme et lui montrais l’œuvre. Elle s’est exclamée : ils vont nous salir la cage ! Bien sûr, elle pensait cage d’escalier, mais le fait qu’elle s’arrêta là, me fit rire à l’intérieur : oui, il s’agit bien de cage pour nous. Eux, ils s’en servent seulement pour se reproduire. Elle m’ordonna de le détruire avant qu’elles n’y mettent leurs œufs. Elle me ramènea un balai. Dès mon geste vers eux, les deux pigeons battant des ailes, sortirent par une ouverture provoquée…

          Une autre histoire de voisin de palier. Un émigré qui a racheté ce logement pour y passer ses séjours au pays. Originaire des hauts plateaux, il ramène sa famille périodiquement aux vacances d’hivers, printemps et été. Et aux dernières vacances d’hiver, il s’est mis en tête de réchauffer son appartement au gaz de ville, moins cher que l’électricité. Il cassa son mur donnant sur la cage et mena son tuyau d’évacuation jusqu’à la façade extérieure qu’il dut casser aussi. J’étais arrivé au mauvais moment. Je me mis en colère en lui expliquant qu’il n’avait pas le droit de toucher aux parties communes ! Et j’ajoutais « pourtant vous revenez d’un pays où ces choses-là sont strictes ! » Il me dit qu’il n’avait pas pensé à ça, qu’il n’allait pas le faire, qu’il annulait cette perspective. Il abandonna l’ouverture pratiquée sur la façade extérieure, béante, ramassa ses échelles et ses marteaux et je ne l'ai plus revu depuis.

          Et aujourd’hui, les pigeons s’y glissent à chaque saison. Je les chasse quotidiennement les empêchant de nicher. Cette année, ils ont profité de ce confinement pour me prendre de vitesse. Donc je détruis le nid de broussaille, une fois les pigeons partis.

           Vous voyez, en temps de confinement tous les détails remontent en surface. Les histoires de voisins, de pigeons, de mendicité et d’insécurité. Bah, la mort qui nous attend se fait oublier grâce à ces détails.

           Je reviens à l’essentiel de cette chronique, les pigeons dont on a détruit le nid dans la cage d’escalier.

         

  Le lendemain après-midi, ma femme s’aventure sur le palier à mon insu, ce qui est rare depuis cette pandémie. Elle m’appelle, scandalisée, pour me dire : regarde ! Les pigeons ont reconstruit leur nid et il y a déjà un œuf pondu !

           J’arrive et constate la chose. Vraiment surpris de la diligence de ce couple ailé. En vingt-quatre heures, tout est remis en place et l’œuf en plus. Ma femme, très superstitieuse et respectueuse de la vie, m’ordonne de laisser la couvée se poursuivre, puisque la chose est faite. Au fond de moi, j’en ris, émerveillé par ce couple têtu. Nous retournons dans notre cage, laissant le couple roucouler, à son aise.

 

Avril 2020

Mhamed HASSANI

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Le nouvel ordre

16 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel, #articles et entretiens publiés

Le nouvel ordre

            À coups de condamnation et d’angoisse, d’enterrements sans condoléances, le nouvel ordre s’annonce. Il a trouvé son terrain favori fait de morgue et d’incurie.

                Il se régénère et se consolide, à coups d’interdiction et d’ordonnance, pour notre bien et celui de notre descendance.

                 Il se met en place dans le silence des confinements sanitaires, d’encadrements sécuritaires et de réseaux satellitaires. Il interdit les révoltes solitaires sur les réseaux sociaux, les TV libertaires, les journaux volontaires et autres supports de mots dissidents.

               Il racole pour son avenir fait d’autorisation et d’interdiction, d’autoflagellation et de soumission, d’où seront bannies l’innovation et la passion, le libre arbitre et la libre expression.

              L’être humain n’est plus qu’un animal social qu’il faut dompter, pas éduquer. Il n’a de bon que ce qu’on l’oblige à faire, sinon son animalité reprend le dessus. Pas d’auto-confinement ni auto-organisation, c’est mauvais pour sa domestication et préjudiciable à sa castration.

        Le nouvel ordre vous prend vos mots et vos rêves, bouleverse vos définitions, renverse vos intentions et célèbre vos retournements. Il tire plus vite que votre sincérité, conjugue à sens unique tous les verbes en avoir et accorde l’être à son bas-fond.

            Alors courage, mettez un peu de rage dans l’amour à votre entourage, ne le laissez pas tomber, aidez-le à se relever, à reconquérir sa verticalité et à regarder au loin.

           Quand viendra l’heure de sortir, leur arsenal sera fin prêt et nous, nous aurons toujours une longueur d’avance, parce que nous sommes porteurs d’un virus encore plus dangereux pour eux : le virus de la désobéissance !

Avril 2020

Mhamed HASSANI

Écrivain

 

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Enfermement 2 - le couple d'enfants

11 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel, #nouvelles littéraires, #articles et entretiens publiés

Enfermement 2

le couple d’enfants

 

     

         En plein confinement pour cause de pandémie covid-19. Avril 2020. Le silence a gagné la contrée, le quartier, le bâtiment et même les appartements. Le couple fait sa promenade, de salon en chambre, de chambre en salon, puis, de temps en temps, aux toilettes. La télévision est éteinte. Le silence gambade dans l’appartement, le bâtiment, la cité, la ville, le pays et toute la planète. Les couples font leur promenade d’intérieur, séparément. Il leur arrive de se croiser dans la cuisine.

     

        Soudain, la sonnette de l’appartement, comme une sirène d’alarme, déchire le silence. Le couple s’immobilise, chacun est figé à une extrémité du salon. Lui est devant la porte d’entrée. Il se précipite pour coller son œil à la lorgnette de la porte. Qui ? Qui ? Il voit un visage tout proche, jeune, souriant à quelqu’un d’invisible. Il entrebâille la porte et lui demande : que viens-tu faire ici ? Tu devrais être à la maison ! Alors, il découvre la deuxième présence, une jeune fille enfoularée. « Rentrez chez vous, ne traînez pas ici. Partez partez ! »

      Le couple d’enfants se retourne, apeuré, pour redescendre l’escalier, hésitant. Lui les poursuit de son « rentrez chez vous » d’un ton qui se veut paternel, mais qui suinte la peur et la colère ! Le couple d’enfants redescend l’escalier, presque à reculons, attendant sûrement un rappel. Lui rentre et ferme la porte, essoufflé. Sa femme, statue figée à l’endroit, lui demande : De quoi s’agit-il ? Il répond en bégayant : Des enfants qui jouent ! Puis il se précipite vers la fenêtre donnant sur la cour de la cité. Il voudrait suivre la trajectoire du couple d’enfants, comprendre son intention.

        Au bout d’un moment, les voilà qui sortent de l’ombre pour traverser la cour vers l’autre bâtiment. La jeune fille enfoularée traîne un chariot à commission qui paraît vide. Le gamin marche devant comme un éclaireur. Ils mendient sûrement, se dit-il, angoissé. Il ne les avait même pas questionnés ! Il aurait pu leur offrir quelque chose, en profiter pour leur demander des nouvelles de l’extérieur… Ils rentrent dans le bâtiment d’en face pour en ressortir en courant et en surveillant leurs arrières, comme s’ils avaient été chassés ! La cité est fermée et les deux petites silhouettes déambulent, agitées par le vent qui balaye, silencieusement, ce monde déserté. Les deux ombres, virgules sombres, slaloment entre les bâtiments rigides, avant de disparaître. Un monde mourant qui n’a plus rien à donner au futur ; un monde qui reste confiné dans l’attente de la mort. Marmonne-t-il, derrière sa vitre, le regard perdu dans le ciel gris déchiré par quelques rayons métalliques d’un soleil d’outre tombe, en cette journée pandémique.

          Il a honte et pense qu’il n’aurait pas l’occasion de se rattraper, ni d’en savoir plus sur le monde extérieur. La peur habite les cœurs au point de les induire en erreur. La peur, diffusée par tous les réseaux, a fini par fermer les portes de la solidarité humaine, raison d’être de nos sociétés. N’est-ce pas ? Jamais, au grand jamais, il n’avait fait un tel geste ! Renvoyer des enfants qui chercheraient de quoi manger ou nourrir leur famille ! Il conclut que la peur qui a ressurgi au gré de la pandémie, archaïse la société, la fait retourner à ces impulsions primitives. On n’arrête pas de nous mettre en garde contre les voleurs et les agresseurs, à toute heure, de jour et de nuit. Il paraît même que les enfants sont des porteurs sains de ce virus mortel ! Et voilà le résultat ! On se méfie, on se justifie et on rejette plus faible que soi ! Et demain, on se débarrassera des charges inutiles, dans la froide logique induite par la nécessité !

          Au fond de son être, il souhaite très fort, les voir revenir et réparer son geste dicté par la peur irraisonnée.

         Le soir, le gouvernement annonce un confinement total, pour le lendemain, sous surveillance militaire, compte tenu du non-respect des consignes et des risques de dépassement sur les biens d’autrui.

        Beaucoup se sont repliés vers leur village natal, en campagne. Un geste de survie, croyant éloigner le danger en se réfugiant au berceau.

       Il se rappelle avec nostalgie la vie de tadart, de son village en montagne ; cette méfiance et cette peur n’existaient pas. Les maisons étaient ouvertes, jamais complètement fermées, on ne s’imaginait même pas être agressé chez soi. Maintenant, la ville, la cité comme une jungle ne pardonne pas les négligences sécuritaires.

         Une fois, il a voulu chasser des jeunes qui occupaient le hall d’entrée ; mal lui en prit, il se fit insulter par la bande qui cuvait son vin, en cachette. Ils lui dirent qu’il n’était pas au village, qu’ici il devait s’occuper uniquement du seuil de sa porte, pas de l’entrée du bâtiment. Il revînt sur ses pas, chez lui, prit un manche à balai et redescendit vers eux. À sa vue, ils prirent la fuite. Le vieux ferma le portail d’entrée et remonta chez lui. Il n’y avait et il n’y a toujours pas d’organisation pour la propreté et la sécurité des cités. Les habitants sont récalcitrants à toute organisation, parce que chacun enfreint la loi, là où ça l’arrange. L’enfermement est dans les mentalités avant d’être dans la cité, conclut-il en rejoignant son fauteuil face à la télévision qu’il a en horreur, mais que sa femme s’entête à allumer pour entendre la mort, ânonner en direct.  

Mhamed HASSANI

Prochaine chronique:  Enfermement 3 - le couple de pigeons

 

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