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Les gardiens des espaces abandonnés

2 Novembre 2014 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #peinture et poésie

Les gardiens des espaces abandonnés

Les gardiens des espaces abandonnés

Dès que je mis le pied sur la première et unique marche d’escalier du marché couvert, à la vue du tableau qui se présenta à moi, j’oubliai toutes les tracasseries pour me consacrer à cette vision :

D. Soufi peignait à même le sol du couloir de l’immense marché couvert entouré des commerçants qui ont quitté les quelques coins dispersés de leur étalage qu’ils tenaient sans grande conviction vue l’hygiène ambiante et la consistance des produits exposés.

Il peignait une grande toile à même le sol dont on ne distingue même plus la couleur du carrelage… je le vie, courbé, tournoyer la main tendue tenant au bout un couteau, donnant des coups à la toile lui assenant des blessures dont le sang changeait de couleur en se coagulant autour de la balafre encore fraîche.

Autour de lui, les commerçants vociféraient et gesticulaient pendant que lui donnait des coups de couteau - pinceau dans la toile... quel est ce nouveau jeu inventé par mon ami pour distraire les gardiens de cet espace abandonné ? Un combat imaginaire qui provoquait le réel dans une mise en scène qui déclanchait l’hystérie des spectateurs ?

Scène irréelle du boucher tenant son poignard d’une main ensanglantée et de l’autre son pantalon tombant avec un rictus dans le maquis de sa barbe dominant largement le peintre penché en avant et concentré dans sa quête. Attendait-il l’issue du combat de l’artiste pour le terrasser à son tour ? Le marchand de légumes tournait sur lui-même avec un encombrant et immense chou vert entre les mains. L’herboriste inculte montrait à qui veut le voir le livre saint qu’il serrait contre sa poitrine. ..

Tous faisaient cercle autour du peintre en guerre contre sa toile qu’il a commencé par terrasser à même le sol crasseux de ce marché abandonné…

Au bout d’un moment, qui a duré une éternité, où j’ai eu toutes les visions d’un pays tourmenté et à jamais perturbé, j’entrais dans cette nouvelle dimension qui promettait. Je m’approchais, saluais et demandai ce qui se passait, en m’apprêtant à le féliciter pour cette nouvelle création ...

« J’avais pas assez d’espace dans « l’atelier » alors j’ai squatté momentanément le hall inutilisé. Les commerçants se sont sûrement dits que j’allais l’occuper définitivement s’ils me laissaient faire. Alors ils n’ont pas trouvé mieux que de m’accuser de salir le parterre avec ma peinture ! Regarde toutes ces saletés ! Ces araignées qui tissent dans tous les sens, ces têtes de veaux qui traînent partout... Et ils trouvent que mes petites taches de peinture salissent le parterre ! Je termine et je ramasse mes pinceaux ! ».

Les gardiens de cet espace abandonné se dégonflèrent un peu et se dispersèrent en grognant leur insatisfaction. Je compris qu’Ils n’abondonnaient pas la partie, ils changeaient seulement d’angle d’attaque.

Je ne sais pourquoi, mais je fis demi tour en lançant à haute voix « je reviens tout de suite avec un appareil photo, surtout ne déménage pas ».

Mhamed HASSANI (2006)

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