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Sur les traces de Massinissa ou l'arnaque algéroise

13 Mars 2018 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité

Sur les traces de MASSINISSA

Ou l’arnaque algéroise.

Par Mhamed Hassani

 

            Le professeur et maitre d’art en sculpture Boulaine Lkhoudir et son disciple Achour Moumen, s’insurgent contre le sort réservé à la sculpture en Algérie.

            Ayant soumissionné au projet « MASSINISSA », lancé initialement par le Haut commissariat à l’amazighité (HCA) et repris en cours de route par la Mairie d’Alger, les deux sculpteurs se retrouvent hors course sans comprendre la démarche des maîtres d’ouvrage qui ont totalement manqué de transparence et de professionnalisme dans ce projet qu’ils disent important pour l’identité millinaire du pays.

            Quand la nouvelle de l’attribution du « marché » est parvenue à nos sculpteurs, qui vivent et travaillent en France, leur déception les a poussé à s’exprimer spontanemment sur l’état de la sculpture en Algérie et notamment cette absence de signe de renouveau dans l’art en général au pays.

            Le professeur et maître d’art Boulaine a un parcours d’excellence dans ses études académiques qui l’ont conduit dans la prestigieuse académie d’art de Saint Petersbourg en URSS. Après des années d'étude dont il sort Major de promotion, il est nommé  Maître D'Art en Sculpture   par l'Académie où il est resté pendant 12 ans avant de rentrer au pays en 1986. Son académisme poussé lui permet de contribuer à l’ouverture de l’école suprérieur des beaux arts d’Alger où il exerça comme maitre assistant pendant 16 ans.Puis, il fût contraint de quitter le pays, sous protection jusqu’à l’aéroport, devant les menaces sérieuses des groupes islamistes du salut GIA. Depuis, vivant en exil, il suit d’un regard meurtri l’évolution du pays dans tous les domaines.

            Quand à Moumen Achour, diplomé de l’école supérieur des arts de Paris après l’école d’Alger, il obtient un master des arts en théorie et pratiques de l’art comtemporain et des nouveaux médias  en 2009. Installé en France, il reste en contact avec son professeur. Il se lance dans des performances de moulage de buste en public ce qui le popularisa dans les milieux parisiens.

            Le projet du buste de Massinissa le réuni de nouveau avec son maitre. ils vécurent cette aventure avec l’innocence des enfants et l’espoir de renouer avec la marche du pays vers la lumière. Ecoutons le professeur avec qui je me suis entretenu au téléphone juste après l’annonce en grande pompe de la décision de la mairie d’Alger de transformer le buste de Massinissa en Statue de trois mètres et son déplacement du centre d’Alger vers la place Tifoura et comble de l’annonce, sa réception le 20 avril prochain ! attendons voir nous disent le maître et l’élève !

            C’est le 27 février 2018 que j’entendis pour la première fois de ma vie, la voix hésitante et chaleureuse de cet illustre maître des arts de la sculpture, inconnu dans son pays en dehors des cercles des beausaristes qui ont été marqué par son enseignement à l’école supérieur des beaux arts d’Alger. De retour au pays, j’ai intérogé mes amis artistes, ils étaient unanimes pour louer la modestie, l’énorme savoir académque et la maîtrise des arts de la sculpture de Boulaine. Dès que je prononçais son nom, je voyais le regard de mes interlocuteur briller !

Je découvrais un vrai maître que tous ces artistes ne rêvent que de rencontrer.

 

Entretien téléphonique :

  1. Marché public et œuvre artistique

 

Boulaine Lkhoudir :  Comment ça va. Il fait froid à Toulouse

- Il neige à Paris

Boulaine Lkhoudir :- Demain c’est pire, d’après la météo.

– Moi demain je repars en Algérie. Je vous appelle de l’atelier où travaille Moumen, votre élève et collaborateur dans le dernier projet auquel vous avez soumissionné en Algérie : la statue du roi amazigh Massinissa. Mais avant d’en arriver au sujet de notre discussion, qui est Monsieur Boulaine ?

(le maître détourna la discussion de sa personne. J’ai été obligé de chercher ailleurs les éléments de son parcours)

 

Boulaine Lkhoudir :- Parlons plutôt du projet : Moumen et moi, on s’est donné à fond pour ce projet.

  • Que s’est-il passé avec le projet?

Boulaine Lkhoudir : On avait pensé que le projet était toujours entre les mains du HCA, on ne savait pas qu’entre-temps il avait changé de mains, faute de budget ! C’était la mairie d’Alger qui avait repris le projet de la statue de Massinissa. L’APC d’Alger à gérer ce projet comme n’importe quel chantier ! Vous connaissez ce système de consultation qui permet de choisir le moins disant et le moins compétent mais le plus coopérant ! La réglementation des marchés publics est une anomalie dès qu’il s’agit d’ouvrage d’art ou d’œuvre artistique ! On choisit une vision et une maîtrise quand il s’agit d’art !

  • Donc la réglementation des marchés publics est une aberration dès qu’il s’agit d’œuvre artistique.

Boulain Lkhoudir : Non seulement c’est une aberration, mais ces règles sont manipulées de façon à faire échouer toute consultation honnête pour aboutir à un gré à gré honteux. Dans ce cas la consultation a été reportée 3 ou 4 fois, la dernière ils ont retenu sûrement un sculpteur à leur image, sans exigence et prêt à la compromission.

  • Pensez-vous que les membres de la commission avaient la compétence nécessaire pour se prononcer sur le choix ?
  • Boulain Lkhoudir : Non, cette commission n’est pas apte à se prononcer sur un projet artistique !
  • Pourquoi, ce sont des administratifs qui la composent ?
  • Boulain Lkhoudir : Non, plutôt des historiens tout court, qui n’ont rien à voir avec l’art et l’histoire de l’art ! Ils ont jugé par rapport à ce qu’ils ont lu mais jamais vu ! L’interprétation des textes qu’ils ont lus est fantaisiste ! Tout dépend de leur source. Un texte on l’interprète selon sa sensibilité et son orientation idéologique. Les membres de la commission se sont comportés comme des enfants qui se fient aux apparences de la maquette flamboyante comme un bijou kabyle ! Une maquette naïve pour des gens naïfs !
  • Et qui est cet heureux artiste
  • Boulain Lkhoudir : Je ne le connais pas. Il paraît qu’il fait de l’art naïf et même des produits de l’artisanat… Enfin je ne connais pas ce monsieur.

 

II- la situation de la sculpture en Algérie

 

  • Monsieur Boulain, discutons un peu de la sculpture en Algérie ; quel est votre avis sur toutes ces statues qui poussent à travers le pays ?

Boulain Lkhoudir : La sculpture en Algérie est une catastrophe ambulante comme on dit ! C’est une pollution de tous les espaces à travers le territoire national !

  • Et c’est dû à quoi ?

Boulain Lkhoudir : C’est dû à l’argent facile. C’est à la mode ! À chaque période son créneau pour se faire de l’argent facile. Dans les années quatre-vingt c’était les poulaillers ensuite les vulcanisateurs ensuite je ne sais quoi ! Maintenant avec l’avancée de la lutte identitaire ce sont les symboles identitaires qui servent de distributeurs de ce qui reste de la rente. Le populisme à toujours de beaux jours devant lui, c’est la meilleure couverture pour se remplir les poches en se drapant d’un nationalisme abject ! Et en avant pour les fabriques de parpaings, on coule des statues en béton et puis c’est la mode du bronze, ça brille et ça attire ! C’est à la mode et on refait et tous se servent au passage ! Le problème, on n’a pas de modèle, pratique ou théorique, pour nous corriger ou nous guider.

  • Y a-t-il justement une tradition de sculpture algérienne ? Existe-t-elle d’abord ?

Boulain Lkhoudir : Il faut d’abord lever le voile de la religion pour que les archéologues fassent leur travail. Ces derniers n’ont même pas de statut ni budget pour travailler ! Discipline non reconnue par l’enseignement supérieur dans les années quatre-vingt, il y avait une seule filière ouverte par le professeur Hadouche aek qui a étudié en France. Il a formé quelques archéologues. Il n’a pas été aidé. Il faut savoir que c’est la fouille archéologique qui nous met en contact avec l’histoire de la sculpture sur un territoire. Les sites qui existent, les Français nous disent que ce sont des romains qui les ont réalisés, c’est faux ! Les Amazighs ont toujours été là, présents sur ces chantiers avec leurs compétences !

  • Donc vous voulez dire que l’amazighité est omniprésente à travers toutes ces réalisations qu’on qualifie de romaines ?

Boulaine Lkhoudir : Exact ! Les historiens détournent l’histoire !

  • Puisque ce sont les envahisseurs qui ont écrit l’histoire.

Boulaine Lkhoudir : Bien sûr que nos ancêtres étaient présents dans la réalisation de tous ce qui se trouve sur leur territoire, toutes ces villes qu’on dit romaines : timgad Djamila tipaza et d’autres ! Nos maçons, nos tailleurs sur pierre nos techniciens et autres professionnels ont bien contribué à toutes ces réalisations !

  • Effectivement tout cela n’a pu être réalisé sans la main-d’œuvre locale

Boulaine Lkhoudir : Effectivement…

  • À travers l’histoire on n’a pas de sculpteur connu

Boulaine Lkhoudir : Non, il n’y en a pas.

  • À moins qu’il existe mais qu’il soit assimilé aux romains donc resté dans l’anonymat !

Boulaine Lkhoudir : Exactement, ils sont restés dans l’anonymat, d’ailleurs ça continue puisqu’on ne fait rien pour briser cette malédiction. Il y a une résistance farouche des arabo-islamiques pour garder l’histoire dans son giron et réduire les Amazighs à des ignorants sans culture ni envergure !

  • Sinon on ne s’explique pas qu’on ait Apullée et Saint Augustin dans la littérature et la philosophie et dans l’art le silence total !

Boulain Lkhoudir : Du côté de Melbou, Hadouche a fait des fouilles, il a découvert des cornes de cerf, aucune aide aucun intérêt de la part de l’état pour en tirer tout l’enseignement !

  • C’est l’archéologie finalement qui fait émerger l’histoire de l’humanité.

Boulain Lkhoudir : C’est le miroir de l’histoire de l’humanité et la mémoire de l’art.

  • Donc les statuts de nos héros nationaux d’avant l’occupation française n’existent pas chez nous ?

Boulain Lkhoudir : eh non, on ne les retrouve pas ! Il n’y a que des mots, des textes ! Même les noms, ce n’est que récemment qu’on a commencé à les déchiffrer, des noms déformés par les historiens étrangers que nous nous réapproprions.

 

III- Sur les trace de Massinissa

  • Donc quand vous avez voulu participer à ce concours, à cet appel d’offres de la mairie d’Alger, comment vous avez procédé pour la maquette de Massinissa ?

Boulain Lkhoudir : Ça a commencé, avec mon jeune collègue Moumen, par la recherche sur le Net. Nous avons trouvé une photo du buste en noir et blanc que nous avons réalisé, puis c’était la recherche du détail, étape très importante en sculpture. Détailler le buste. Sur la tête que portait-il ? Elle était ornée d’un casque avec des coquillages… J’ai essayé de questionner mes amis, ils ignoraient ces détails très importants pour moi. J’ai demandé à Moumen de faire des recherches sur le Net, de nous recueillir tous les endroits et musées de Rome où on pourrait rencontrer notre histoire et notre roi. Puis, on a décidé de se rendre sur place. Mais sur place ça n’a pas été facile de retrouver le buste de Massinissa.

  • Vous avez joué à l’inspecteur Tahar et son apprenti (rires) pour retrouver les traces de Massinissa ?

Boulain Lkhoudir : Oui, on a joué aux détectives et ça n’a pas été facile. Comme chercher une aiguille dans une botte de foin ! On est arrivé à Rome en soirée, il fallait d’abord trouver un hôtel pour la nuit. Par chance dans l’hôtel on a trouvé une carte et un guide de tous les endroits touristiques et culturels de la ville. Donc au matin direction le musée du Capitole ! En touriste nous avons sillonné la ville avant d’aboutir au musée. Au moment de rentrer en conquérant, on a voulu nous empêcher d’accéder avec notre matériel (appareil photo et autres instruments). Ce n’est qu’en insistant et en dévoilant nos identités professionnelles missionnées et en en référant au directeur du musée qu’on a pu entrer dans ce monde des philosophes grecs. Tout de même la direction a rappelé l’interdiction de filmer. Une fois à l’intérieur on a eu la chance de tomber sur un Tunisien qui, après présentation et déclinaison de notre objectif, nous recommanda à un historien sur place.

Nous étions dans la salle des philosophes et aucune trace du buste de Massinissa qui devrait trôner là au milieu des autres ! Nous commencions à paniquer quand l’historien nous indiqua une autre salle avoisinante. Massinissa était bien là, plus valorisé que les autres bustes, entre des colonnes de marbre vert, il était bien exposé. Grâce à l’historien qui nous a guidés, alors que le personnel du musée ne voulait rien nous dire, nous nous sommes inclinés devant le buste de notre roi ! À vrai dire, le buste n’est même pas identifié comme Massinissa mais un simple numéro d’un philosophe parmi d’autres philosophes grecs, 1 700 A/J. Massinissa n’est qu’un numéro, personne n’a voulu prononcer son nom comme s’ils avaient peur de le réveiller !

  • Je ne saisis pas, s’agit-il de Massinissa ou non ?

Boulain Lkhoudir : Il s’agit du buste de Massinissa mais les Italiens refusent de le nommer ! Il le désigne sous le numéro 66/10 philosophe grec, voilà l’indication sur le buste de Massinissa.

 

IV- l’arnaque d’Alger

 

Boulain Lkhoudir : Si nous, on a eu tant de mal pour avoir une idée de Massinissa comment le jury d’Alger a-t-il fait pour trancher ?

Le buste est cassé et restauré, le socle est de couleur ocre jaune. Son casque d’animaux, des lions des deux côtés… La broche cassée sur le casque… Plein de détails fort importants pour l’artiste !

Un tableau du musée de l’ANP à Alger, représente Massinissa avec un bonnet ! Ce que négligent nos responsables et nos artistes, c’est que derrière le travail de l’artiste, il y a le travail de l’historien ; alors comment ce choix du bonnet a-t-il été décidé ? Ils n’ont même pas visité le buste de Rome ! La mairie d’Alger m’a précisé qu’il ne voulait pas d’un Massinissa guerrier alors que son buste renvoie à un roi guerrier ! Comment faire ?

  • Quel genre de roi elle voulait ?

Boulain Lkhoudir : Un roi dans la peau d’un sénateur romain.

  • Donc même la sculpture n’est pas épargnée par les luttes idéologiques et politiques?

Boulain Lkhoudir : Ils veulent orientaliser même la sculpture et par là toute l’histoire anté islamique de Tamazgha ! Même le sabre on veut l’orientaliser ! Le sabre romain d’origine est court, maniable, une arme de combat efficace ; ils m’ont dit qu’il fallait le faire plus long et courbé, comme celui de l’Émir Abdelkader, à l’Oriental ! Ils veulent un sabre oriental et non gréco-romain qui nous est proche dans l’histoire. Mais les gens de la pierre noire ne veulent pas d’une autre affiliation…

  1.  

V-Retour à Rome : Massinissa ou pas Massinissa ?

  • Revenons à l’aventure de Rome, du musée et du buste N° 66/10 supposé être Massinissa d’après vos recherches.

Boulaine Lkhoudir : On a pris des photos pendant plus de trois heures pour ne rater aucun détail !

  • Vous étiez fixés définitivement que c’était bien Massinissa ?

Boulaine Lkhoudir : Oui, on s’était fixé, on a intériorisé cette représentation de notre Massinissa ! Moumen excité, a même manifesté sa joie en scandant plusieurs fois I MA ZI GHEN ! en dansant autour du buste ! On était au comble du bonheur ! On avait atteint le cœur de l’histoire de nos ancêtres !

  • Donc vous avez fait le plein d’images et de sensations, vous vous sentiez gonflé d’énergie pour vous lancer dans la création de ce buste vous le voyiez déjà trôner au centre d’Alger Mezghena… C’est toute notre histoire que vous étiez en train de rapatrier !

Boulaine Lkhoudir : Oui, tellement convaincu et ému que quand nous avons rempli la fiche de visite à la sortie en présence de la directrice du musée, nous avons mentionné Buste de Massinissa et non buste N° 66/10. La directrice à contre signé la fiche, c’est dans les usages du musée, en souriant et sans démentir notre désignation. Était-ce une confirmation ou une complicité enfantine pour ne pas nous contrarier. Il est vrai que nous étions des enfants perdus dans l’immensité du temps et de l’histoire à la recherche d’une racine manquante pour nourrir le tronc commun qui nous porte ; tamazgha gémie au fond de chacun de nous.

  • Vous êtes vraiment convaincus que c’est le buste de Massinissa ?

Boulaine Lkhoudir : Peut être ! On dirait le plus grand secret de l’histoire ! A-t-on peur de sa résurrection ? (éclat de rire). Même son corps a disparu. À l’origine c’est une statue complète, elle s’est détériorée ou cassé. Même le buste qui en reste a nécessité des réparations et a été posé sur un socle, il a été restauré en marbre bleu. Mais, c’est un beau buste.

  • Vous, vous deviez faire une statue complète ou un buste ?

Boulaine Lkhoudir : Quand on a soumissionné la première fois on a proposé un buste. Cela a été reporté plusieurs fois. Il était plus honnête de reproduire le buste de Rome pour rester proche de la réalité et montrer cela au public. On avait projeté de le faire en pierre et il devait prendre place dans un jardin au centre d’Alger pour un délai de réalisation de deux mois. Pour faire une statue complète, il aurait fallu faire d’autres recherches sur le costume et autres détails… Puis cela a été reporté jusqu’à ce qu’on entende la nouvelle qui nous a bouleversés ! Le maire d’Alger annonce en grande pompe que la statue de Massinissa sera faite d’une hauteur de trois mètres et sera placée à l’entrée de la capitale sur la place de Tifoura transformé en jardin, et cela dans un délai de deux mois ! Allez y comprendre cette logique mercantile qui confond l’art et LAAR ! Mais la place d’une œuvre d’art n’est pas une autoroute, ce n’est pas une scène de gladiateurs ! Elle doit être dans un endroit où elle peut être admirée en toute quiétude ! Cette vision naive et mercantile des responsables a ruiné les arts en Algérie !

  • D’ailleurs on constate cela sur l’autoroute de Tizi ouzou : des statuts de maquisards debout qu’on n’a pas le temps de regarder. Alors pour qui pourquoi toutes ces statues sans vie semées au hasard des autoroutes ? Ailleurs, les œuvres d’art sont placées en ville sur des places ou des musées, là où on peut les admirer en toute quiétude !

Boulaine Lkhoudir : Eh oui… (le soupir du sculpteur en dit long sur sa déception)

  • Maintenant, la page Massinissa est-elle tournée définitivement ?

Boulaine Lkhoudir : En attendant de voir la catastrophe de Tifoura, nous allons proposer notre idée ailleurs, comme toujours. Je suis sûr d’avoir un écho favorable dans l’un des pays de Tamazgha !

V- L’Algérie d’hier d’aujourd’hui de demain :

Mhamed Isseyakhen, Zizi Smail et d’autres…

 

  • Mais qu’est ce qui motive les Algériens en dehors de la matérialité des projets culturels ?

Boulaine Lkhoudir : Les responsables algériens n’ont aucune ambition, aucun projet humaniste visant l’universel. Ils vivent au jour le jour, et la majorité du peuple est atteinte de ce réflexe. Sans trop se poser de question sur le devenir de l’humanité. Y a qu’à voir le projet de la grande mosquée d’Alger : aucune intelligence dans le choix du site et complètement disproportionnée.

  • Parle-nous un peu des sculptures de Bgayet, ta ville natale.

Boulaine Lkhoudir : C’est trop, bezzaf ! Ce n’est pas comme ça ! La renaissance italienne n’a pas produit autant de bizarrerie ! Aucune réflexion. Il fallait diversifier les créations ! Il n’y a que des personnages debout les bras ballant qui se ressemblent tous ! Aucune fontaine ou autre beauté à sculpter ?

  • Finalement chez nous l’art ancien n’est pas visible ?

Boulaine Lkhoudir : S’ils veulent voir, ils n’ont qu’à découvrir la statue couverte par Isseyakhen devant le palais du gouvernement ! Couverte de plastique et coulée au béton !

  • Justement que penses tu de cet acte de la part d’Isseyakhen : couvrir au lieu de détruire ? J’ai toujours considéré que c’était intelligent de sa part.

Boulaine Lkhoudir : Ah non ! Ighlet ! Il s’est trompé ! Il a gaffé ! Un artiste peintre faire ça ?

  • Je pensais sincèrement que c’était saint de sa part de sauver cette œuvre qu’on voulait peut-être détruire ? La couvrir pour la redécouvrir plus tard !

Boulaine Lkhoudir : Oui, il a eu cette idée, j’étais présent d’ailleurs, de recouvrir… Mais, il aurait dû refuser !

  • Mais on peut la redécouvrir maintenant !

Boulaine Lkhoudir : Oui au marteau-piqueur

  • Et on peut retrouver à nouveau l’œuvre originale ?

Boulaine Lkhoudir : Oui, Isseyakhen lui a confectionné une coque pour la protéger.

  • C’est tout de même intelligent de sa part !

Boulaine Lkhoudir : Oui, intelligent, mais il aurait dû refuser !

  • Tu laisses entendre qu’Isseyakhen s’est un peu mouillé avec le pouvoir en place de l’époque ?

Boulaine Lkhoudir : Effectivement qu’il s’était impliqué ! l’Algérie a toujours été une vaste prison pour tous ses enfants quel que soit son parcours ! On a beau être l’élite, tu as beau briller à l’étranger dès que tu rentres les portes se referment et tu n’as plus le choix pour survivre ! Isseyakhen a fait ses études à Paris. Dès qu’il est rentré au pays, il s’est trouvé coincé dans la même routine. De Bar en bar avec son ami Yacine ! Le bar a remplacé l’usine des émigrés. Ce qui te donne Bar Maison Bar, une usine de discussions interminables qui ne débouchent sur rien.

  • Je me rappelle que quand on a essayé de faire parler Kateb Yacine sur ses échanges avec Isseyakhen pendant ces longues beuveries, Yacine répondait : on ne parlait jamais de littérature ou de peinture, on se racontait des blagues ! (après la mort d’Isseyakhen, je me souviens plus où j’ai lu cette anecdote).

Maintenant si je te pose une question sur Zizi Smail, ce sculpteur originaire d’Aokas ?

Boulaine Lkhoudir : C’est un grand sculpteur.

  • Mais il nous a laissé à Bgayet quelques statues qu’il renie.

Boulain Lkhoudir : À Bejaia et au musée de l’armée algérienne, mais c’est un grand sculpteur qui a fait carrière. Un bon tailleur de marbre, le seul algérien et même maghrébin qui maîtrise parfaitement le marbre.

  • Je me prends à rêver, moi le poète, et si on faisait appel à tous les sculpteurs algériens à l’étranger pour venir au pays et réaliser une œuvre libre ?

Boulain Lkhoudir : Très bonne idée ou très beau rêve. Oui, si un jour nos gouvernants décidaient de le faire… Une très bonne idée, un très beau rêve… Il suffit de s’organiser. Il y a déjà des lieux qui s’y prêtent, où on peut travailler comme la villa Abdel-Tif ou la Médicis d’Alger… Et d’autres villas qui ont malheureusement été cédées à des particuliers.

  • Si un jour l’Algérie voulait faire sa mise à jour culturelle et artistique, elle devra réunir tous ses enfants, rappeler tous ceux qui sont à l’étranger…

Boulaine Lkhoudir : Oui, mais sans interférence idéologique.

  • Peu importe la thématique, que l’Algérie compétente s’exprime !

Boulaine Lkhoudir : Ce serait formidable ! C’est comme l’équipe nationale de football : on ramène bien des pieds de partout ! Il suffirait de préparer le terrain, les matériaux… Une idée qui fait rêver. Pourquoi pas ? Ils ramènent bien des footballeurs de partout à coups de milliards ? C’est un cadeau à offrir au pays et aux générations futures. Oui, une excellente idée, la rencontre de tous les artistes et y aura même du travail pour tout le monde, les cinéastes, les journalistes… Une occasion de corriger nos erreurs passées et de mettre à niveau notre savoir-faire national. Un cadeau pour l’Algérie.

 

  • On a le droit de rêver et d’ouvrir des perspectives ! Ça t’arrive d’exposer ?

 

Boulaine Lkhoudir : Oui, j’expose des sculptures, je donne des cours je vis… À Toulouse. Donc tu repars au pays ? Tu n’as pas d’appréhension ? Avec l’envahissement des espaces par la religion ?

  • Moi, je suis pragmatique, sans lien matériel avec la culture, donc non conditionné ni soumis au chantage. Au contraire, j’essaie d’aider à rassurer les jeunes pour qu’ils se libèrent des craintes semées par l’intolérance et le bigotisme. Une fois que j’organisais une exposition avec mes amis peintres, il y avait une étudiante des beaux-arts qui a exposé des tableaux puis elle m’a avoué qu’elle avait des sculptures et que la sculpture était sa passion, mais son père lui interdisait cette orientation pour la protéger des intégristes ! Je lui avais demandé de ramener ses statues et d’inviter son père pour que je puisse le rencontrer. L’exposition eut lieu, on admira les débuts de cette future sculptrice et j’ai pu discuter avec son père de cet envahissement de la société par le religieux le plus obscur. Nous avons parlé de la liberté de création et du génie de nos enfants qui risque de partir en fumée, puis de l’évolution des sociétés. Il était content et fier de sa fille. Il ne voulait que la protéger.

Quelque temps après, notre sculptrice, m’a appris qu’elle était libre de faire de la sculpture ! J’ai suivi et je suis toujours l’évolution fulgurante de cette jeune artiste qui a fait son transfert vers une école qui dispense un enseignement en sculpture !

Boulaine Lkhoudir : Ah c’est vraiment beau ! S’il vous plaît Mhamed termine ton article sur cette anecdote ! Je suis vraiment content de l’entendre et de savoir que l’espoir est permis et que les nouvelles générations se battent pour l’épanouissement et non l’enfermement !

Mhamed Hassani

Poète et dramaturge

Sur les traces de Massinissa ou l'arnaque algéroise
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