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nouvelles litteraires

La fugue

30 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité, #nouvelles littéraires, #publié dans Kabyluniversel

Enfermement 4

La fugue

 

      

   Aujourd’hui, c’est le tour des poubelles. Les déchets encombrent le balcon, il faut bien s’en débarrasser et pour cela, il faut bien sortir ! Ultime parade, sa femme consent à le libérer. Trois jours sans sortir, il commence à s’adapter à ce rythme, qui lui paraît raisonnable. Vivre confiné, une fiction réalisable, pense-t-il, avec toutes ces perspectives de guerre bactériologiques et covi-19 en fait partie, pour certains esprits avertis ! Bon, mais nous citoyen lambda on est terre à terre, on vit au rythme de notre présent. Donc aujourd’hui, évacuation des déchets vers le coin désigné à cet effet, situé à 300 m de chez lui. Un simple trottoir où tout le quartier dépose ses ordures. Il s’équipe comme il peut : la même tenue, veste et pantalon, plus une bavette artisanale confectionnée par sa chère femme et un casque qu’il a confectionné lui-même avec un plastique de couverture récupéré et un élastique. Il est prêt pour l’expédition.

       Sa pigeonne couve toujours dans son coin, depuis qu’ils lui ont foutu la paix, ils attendent impatiemment la couvée… Bavette sur la bouche et le nez, masque sur le devant du visage, gel antiseptique en poche, poubelle pendante à chaque bras, le voilà descendant l’escalier prêt à affronter l’extérieur.

          Sortir du bâtiment pour entrer dans la lumière du jour. Aveuglément. Adaptation, regard alentour, découverte du monde extérieur, désert. Des silhouettes çà et là. Premier magasin d’alimentation, le plus proche, destination de ses sorties alimentaires à 200 m. Il le dépasse allègrement, juste un regard explorateur sur la porte ouverte mais obstruée d’une table comptoir. Personne en ce moment. Un arrêt de bus vide. Quelques véhicules passent, de temps en temps, furtifs. Il traverse la rue. La décharge est de l’autre côté. Il dépose ses sachets bien remplis et humides sur le trottoir déjà encombré. Il se frotte les mains, pour faire tomber d’éventuelles particules invisibles. Il sort son gel, se nettoie les mains en marchant sur le chemin du retour.

        Retour ? Pourquoi ? La cage d’escalier puis l’autre cage, une succession de cage qui rebute. Il regarde les quelques silhouettes qui circulent à des distances plus que sécuritaires ! Pourquoi pas ? D’un coup, il change de direction. Il marche vite en lançant des regards à gauche et à droite. Il se sent sous surveillance. Il marche de plus en plus vite. Il s’éloigne de sa cité. Il bifurque, change de trottoir à plusieurs reprises. Tentative désespérée de semer l’ennemi invisible ou de se semer ? Rire nerveux. À partir de ce moment il ne s’appartient plus. Il se voit réintégrer le monde.

            Il sort du bétonville et prend à travers les champs. Une route qui mène vers la mer. Il se sent déjà mieux entre les clôtures des deux vergers d’orangers qui délimitent la voie qui mène à la plage. Il enlève furtivement son masque, puis sa bavette. Il respire un bon coup de bonheur. Il sourit au ciel complice et aux arbres approbateurs. Il voit un papillon blanc, un petit papillon qu’il a du mal à suivre du regard sans ses lunettes, rangées dans sa poche. Marcher, soleil printanier sur son visage, lui arrache sourire. Marcher, se déplacer entre haies fleuries. Silence et chants d’oiseaux invisibles. Brise marine caressante, souvenir d’un autre temps. Marcher vite, le corps se propulse, l’esprit le calme. Marche calmement lui souffle-t-il dans la brise, la nature te regarde, t’évalue, te récupère à petites doses.

         Au bout du chemin, une montagne de déchets de matériaux de construction : plâtre, morceaux de mur en parpaing, sacs de ciment vides… Il grimpe sur les débris, pressé de voir la vague, le large, l’immensité bleu ! Il faillit tomber, plusieurs fois, avant de se retrouver dans le terrain fait d’amas de terre déposés là, depuis plusieurs saisons, maintenant couvert de végétation. Au loin l’horizon bleu. Son cœur bat et il avance à l’aveuglette. Tantôt dans un creux, tantôt une colline, avec les herbes et arbustes jusqu’à la taille. Arrivé à l’extrémité du plateau, il se retrouve au bord de la bande sablonneuse qui mène à la mère agitée ; il reste un moment à la dominer, le torse gonflé et le regard conquérant. Puis, il déboula la pente argileuse pour sentir ses pieds s’enfoncer dans le sable moelleux. Involontairement, il se met à courir dans l’étendue silencieuse et offerte, à la rencontre de la vague qui patine dans sa direction. Il s’arrête, se retient pour ne pas courir. Regarde autour de lui. Rien, aucune présence humaine. Quel réconfort ! Quelle sécurité ! Il se met à tourbillonner les bras en hélices. Des oiseaux s’envolent de-ci de-là, pas du tout effrayés, plutôt dérangés. Quel calme et quelle paix loin des humains ! Loin des humains ! Drôle de sensation tout à coup ? Les humains s’étaient mis en société pour se sécuriser, non ? Voilà qu’ils se fuient pour se sécuriser ! Sourde panique, mais heureux, momentanément, d’être seul, pas définitivement ! reconnait-il, presque à haute voix.

         

       

Il marche, nonchalant à quelques mètres de la vague un peu agitée. Il redevient un peu celui de tous les jours d’avant, faisant sa promenade pour se réconcilier avec lui-même, son entourage et le monde. Puiser un peu de sérénité au fond de soi, loin des bousculades du présent, des jeux de contrôle et de diversion. La pandémie redistribue les cartes, pouvoir et société se jaugent sur la base des initiatives de terrain. Demain se joue aujourd’hui disent certains pendant que d’autres suggèrent que tout est joué d’avance, dans les séries de science-fiction. La pandémie se décline en termes de contrôle des sociétés. Ce n’est plus une maladie, mais le virage technologique de l’humanité. Il marche et il mâche sa vision étriquée des prochaines années, quand il sera loin de ce monde perturbé. Il jettera un regard, toujours intéressé, sur ce monde que nous n’avons pas su gérer. Il marche et il mâche sa joie de marcher comme un chewing gum qui perd de plus en plus de son goût énergisant, à l’approche de quelques humains qui traîne un chien ou un enfant surexcité. Il remet sa lingette et son casque, remonte lourdement vers son bétonville, retrouver ses cages, sa pigeonne et sa compagne, son confinement sanitaire, après une douche soulageante et la désinfection de ses attraits, qu’il suspendra jusqu’à la prochaine sortie.

            Essoufflé, il regarde les infos, simultanément, sur plusieurs chaînes de télé et sur son smartphone qu’il avait abandonné sur la table. Une douche d’information qui lui fait aimer son confinement, sa prison. Le monde s’accélère sur les plateaux de télévisions et les fils d’actualité de son téléphone. Il s’enfonce dans cette agitation virtuelle pour plonger, doucement, progressivement, enroulé sur lui-même, dans un sommeil fœtal. Il n’est pas encore né. Il est confiné dans le monde d’avant.

 

Avril 2020

Mhamed HASSANI

 

 

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Enfermement 2 - le couple d'enfants

11 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel, #nouvelles littéraires, #articles et entretiens publiés

Enfermement 2

le couple d’enfants

 

     

         En plein confinement pour cause de pandémie covid-19. Avril 2020. Le silence a gagné la contrée, le quartier, le bâtiment et même les appartements. Le couple fait sa promenade, de salon en chambre, de chambre en salon, puis, de temps en temps, aux toilettes. La télévision est éteinte. Le silence gambade dans l’appartement, le bâtiment, la cité, la ville, le pays et toute la planète. Les couples font leur promenade d’intérieur, séparément. Il leur arrive de se croiser dans la cuisine.

     

        Soudain, la sonnette de l’appartement, comme une sirène d’alarme, déchire le silence. Le couple s’immobilise, chacun est figé à une extrémité du salon. Lui est devant la porte d’entrée. Il se précipite pour coller son œil à la lorgnette de la porte. Qui ? Qui ? Il voit un visage tout proche, jeune, souriant à quelqu’un d’invisible. Il entrebâille la porte et lui demande : que viens-tu faire ici ? Tu devrais être à la maison ! Alors, il découvre la deuxième présence, une jeune fille enfoularée. « Rentrez chez vous, ne traînez pas ici. Partez partez ! »

      Le couple d’enfants se retourne, apeuré, pour redescendre l’escalier, hésitant. Lui les poursuit de son « rentrez chez vous » d’un ton qui se veut paternel, mais qui suinte la peur et la colère ! Le couple d’enfants redescend l’escalier, presque à reculons, attendant sûrement un rappel. Lui rentre et ferme la porte, essoufflé. Sa femme, statue figée à l’endroit, lui demande : De quoi s’agit-il ? Il répond en bégayant : Des enfants qui jouent ! Puis il se précipite vers la fenêtre donnant sur la cour de la cité. Il voudrait suivre la trajectoire du couple d’enfants, comprendre son intention.

        Au bout d’un moment, les voilà qui sortent de l’ombre pour traverser la cour vers l’autre bâtiment. La jeune fille enfoularée traîne un chariot à commission qui paraît vide. Le gamin marche devant comme un éclaireur. Ils mendient sûrement, se dit-il, angoissé. Il ne les avait même pas questionnés ! Il aurait pu leur offrir quelque chose, en profiter pour leur demander des nouvelles de l’extérieur… Ils rentrent dans le bâtiment d’en face pour en ressortir en courant et en surveillant leurs arrières, comme s’ils avaient été chassés ! La cité est fermée et les deux petites silhouettes déambulent, agitées par le vent qui balaye, silencieusement, ce monde déserté. Les deux ombres, virgules sombres, slaloment entre les bâtiments rigides, avant de disparaître. Un monde mourant qui n’a plus rien à donner au futur ; un monde qui reste confiné dans l’attente de la mort. Marmonne-t-il, derrière sa vitre, le regard perdu dans le ciel gris déchiré par quelques rayons métalliques d’un soleil d’outre tombe, en cette journée pandémique.

          Il a honte et pense qu’il n’aurait pas l’occasion de se rattraper, ni d’en savoir plus sur le monde extérieur. La peur habite les cœurs au point de les induire en erreur. La peur, diffusée par tous les réseaux, a fini par fermer les portes de la solidarité humaine, raison d’être de nos sociétés. N’est-ce pas ? Jamais, au grand jamais, il n’avait fait un tel geste ! Renvoyer des enfants qui chercheraient de quoi manger ou nourrir leur famille ! Il conclut que la peur qui a ressurgi au gré de la pandémie, archaïse la société, la fait retourner à ces impulsions primitives. On n’arrête pas de nous mettre en garde contre les voleurs et les agresseurs, à toute heure, de jour et de nuit. Il paraît même que les enfants sont des porteurs sains de ce virus mortel ! Et voilà le résultat ! On se méfie, on se justifie et on rejette plus faible que soi ! Et demain, on se débarrassera des charges inutiles, dans la froide logique induite par la nécessité !

          Au fond de son être, il souhaite très fort, les voir revenir et réparer son geste dicté par la peur irraisonnée.

         Le soir, le gouvernement annonce un confinement total, pour le lendemain, sous surveillance militaire, compte tenu du non-respect des consignes et des risques de dépassement sur les biens d’autrui.

        Beaucoup se sont repliés vers leur village natal, en campagne. Un geste de survie, croyant éloigner le danger en se réfugiant au berceau.

       Il se rappelle avec nostalgie la vie de tadart, de son village en montagne ; cette méfiance et cette peur n’existaient pas. Les maisons étaient ouvertes, jamais complètement fermées, on ne s’imaginait même pas être agressé chez soi. Maintenant, la ville, la cité comme une jungle ne pardonne pas les négligences sécuritaires.

         Une fois, il a voulu chasser des jeunes qui occupaient le hall d’entrée ; mal lui en prit, il se fit insulter par la bande qui cuvait son vin, en cachette. Ils lui dirent qu’il n’était pas au village, qu’ici il devait s’occuper uniquement du seuil de sa porte, pas de l’entrée du bâtiment. Il revînt sur ses pas, chez lui, prit un manche à balai et redescendit vers eux. À sa vue, ils prirent la fuite. Le vieux ferma le portail d’entrée et remonta chez lui. Il n’y avait et il n’y a toujours pas d’organisation pour la propreté et la sécurité des cités. Les habitants sont récalcitrants à toute organisation, parce que chacun enfreint la loi, là où ça l’arrange. L’enfermement est dans les mentalités avant d’être dans la cité, conclut-il en rejoignant son fauteuil face à la télévision qu’il a en horreur, mais que sa femme s’entête à allumer pour entendre la mort, ânonner en direct.  

Mhamed HASSANI

Prochaine chronique:  Enfermement 3 - le couple de pigeons

 

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un extrait d'une nouvelle poétique (femme-livre) Qui que tu sois Qui que je

26 Janvier 2013 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #nouvelles littéraires

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