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Ça sent la défection ou la défécation ?

10 Octobre 2019 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel

Ça sent la défection ou la défécation ?[1]

 

Entre le 33e et le 34e vendredi de marche citoyenne, pour libérer l’Algérie des griffes de ses kidnappeurs, j’ai continué à marcher dans les rues et sur mes écrans, et je continuerai à flamber mes neurones en poésies insolubles dans l’air du temps jusqu’à trouver la source de notre devenir.

   À l’étape actuelle de notre révolution citoyenne, beaucoup d’ami(e)s m’ont exprimé leur désarroi, des fois leur dégoût ou simplement leur malaise, devant cette impression d’être pris en otage par ce système prédateur.

   C’est réciproque, mes chers ami(e)s et camarades. Ces sensations, nous les vivons, mais aucun n’a exprimé l’intention de lâcher prise, devant ce pouvoir qui nous accule et cherche à nous enculer d’avantage. Façon de nous dire que vous n’avez rien vu !

    Plus nous sommes pacifiques plus il est répressif !

   Pour me libérer, j’ai lancé une interjection sur Facebook, à l’intention des artistes indifférents, qui exposent gentiment, sans être dérangé dans leur train-train ! Au 33e vendredi, la rue marche et les nuages s’amoncellent et obscurcissent le ciel. Le soleil de la révolution tarde à darder de ses rayons ces masses informes pour libérer les masses d’eaux qui laveront l’affront d’un demi-siècle d’usurpation.

   Le pouvoir rentier n’écoute pas la rue, il se renouvelle à ses cris. Il s’invente un nouvel avenir sur le dos du peuple qui demande son départ. Harassant mes amis, faut le reconnaître. Même fatiguant de tourner en rond, dans l’attente de la spirale. L’ogre décapité cherche à se greffer une tête, peu importe laquelle, pourvu quelle ne sorte pas de la rue, l’incompatibilité guette… Et le meurtre n’est pas nouveau, nous dit le fils de l’ogresse. Rien à faire, le souvenir du président assassiné est toujours là ! Toutes les têtes ne sont pas compatibles avec le corps de l’ogre ! L’idée de se passer de tête existe chez lui depuis longtemps. Vivre dans l’obscurité de son abdomen, est une idée séduisante. En ventriloque, il finira étouffé dans ses excréments !

    Sans changement radical, il ne peut y avoir de changement ! Clame la rue sans arrêt !

   Je reviens à mes amis les artistes que j’ai fustigés sur un réseau social, dans un moment de perdition, de désarroi, une interjection qui était au fond un appel au secours, un coup de tête pour me regarder dans un miroir, pour mieux me voir.

   N’attendant pas trop de réponse, je fus surpris par l’avalanche des flèches lancées contre les artistes et les boucliers dressés pour les protéger. Dans les deux camps, ce n’étaient pas les artistes qui s’exprimaient mais leur public citoyen et leur manager dans la société. J’ai tout de suite retrouvé le schéma préexistant dans le système rentier. Ce sont ceux qui exploitent les artistes qui les condamnent et les défendent : l’artiste est toujours absent, alors on lui fait porter le chapeau. Cela me rappelle quelques situations presque surréalistes.

   Dans une réunion de la société civile, avant le 22 février, parce qu’à Bejaia, la société civile a toujours été vivante, j’insistais sur la nécessité d’inviter les artistes aux événements cruciaux. Ce sont eux qui donnent la profondeur aux événements, avec leur humanisme et l’absence de stratégie politique. Plusieurs fois, la preuve a été donnée que leur positionnement faisait basculer la société. Ils étaient d’accord, mais s’agaçaient de donner la parole à l’artiste, qui pousse toujours le jeu un peu trop loin. Une fois sortant de réunion pour un instant, l’un des animateurs politiques, grand agitateur et ex-député, se mit à réduire la culture au folklore, sans prise sur la révolution, un amuse foule, sans plus.

   Une autre fois, j’ai vu un collègue écrivain se faire traiter d’usurpateur de fonction, parce que la presse écrite s’adressait à lui et citait son nom dans les articles du lendemain.

   L’artiste est bien, tant qu’il amuse la galerie, pas quand il dit sa pensée : sa citoyenneté est brimée par le politique, ce qui explique sa révolte permanente.

   La méfiance est réciproque, finalement.

   J’ai vu l’artiste raser les murs et arrondir les angles de son œuvre, pour accéder aux faveurs de l’état perverti, sensé être à son service et on le voit encore aujourd’hui éviter le Hirak par peur de se brûler. La neutralité existe-t-elle ? vieux débat de l’art pour l’art !

   Quand il intègre le mouvement on le prend pour un surfeur et quand il est sur la rive à scruter la vague, on le taxe de passif et on lui suggère de l’enrôler.

   Tout questionnement est légitime et tout positionnement est citoyen quand il est assumé et déclaré.

   La valeur artistique n’est pas impliquée dans l’engagement, c’est la citoyenneté de l’artiste qui est interpellée.

   L’audace des artistes, c’est d’être les précurseurs et les détenteurs de la flamme. Éternels Prométhée voué à la marginalisation et à la torture.

   L’artiste de la rue donne à voir et à entendre sans la permission du système rentier qui nourrit les pantouflards. L’artiste de la rue est nourri par les citoyens, il vit de son art.

   L’artiste est l’ivre citoyen par excellence ! Et il invente la cinquième saison à tout bout de champs !

 Entre le 33e et le 34e vendredi de marche citoyenne, pour libérer l’Algérie des griffes de ses kidnappeurs, j’ai continué à marcher dans les rues et sur mes écrans, et je continuerai à flamber mes neurones en poésies insolubles dans l’air du temps jusqu’à trouver la source de notre devenir.

 

Mhamed Hassani

Écrivain

(Poète et dramaturge)

détenu(e)s politiques et d'opinion du mouvement citoyen du 22 février 2019

et la liste n'est pas exhaustive!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] J’avais écrit « défection » dans mon post sur Facebook, un ami poète du Québec m’a dit « te connaissant tu as voulu dire « Défécation ».

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