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articles parus dans le quotidien la cite

André Moumen Achour, 4 ème partie : l'abus de confiance

6 Mars 2021 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité, #peinture et poésie, #poèsie et arts plastiques, #publié dans Kabyluniversel

 

L’élève et le maître

            André Moumen, c’est aussi l’attachement au Maître. Cette relation fusionnelle à distance, se traduit par une communication quasi-permanente. Je le découvris à la même période de la réalisation des œuvres sur la migrance. Moumen m’avait parlé d’un concours pour la réalisation de la statue de Massinissa, premier roi berbère connu, à Alger. Jusque-là, cela ne m’a pas accroché ne connaissant pas Monsieur Boulaine, ce compatriote qui vivait à Toulouse et qui était sculpteur, d’après ce que j’ai saisi. Moumen me disait qu’ils allaient réaliser cette œuvre comme un retour triomphant vers Alger qu’ils ont dû quitter sous la menace terroriste. Cela restait pour moi, un simple concours de circonstances et cela m’étonnait qu’on offre ce travail sur un plateau à d’illustres inconnus loin du bled, alors que les affaires se traitaient en coulisse, sur place. Je sais qu’on ne s’aventure pas à libérer la création artistique dans cette contrée. Elle n’est qu’un moyen de survie politique.

            Puis, un jour, dans la blancheur des neiges parisiennes, Moumen me parut sombre et agité. Que se passait-il ? Il me dit qu’Alger ne les avait pas retenus, alors qu’ils avaient fourni beaucoup d’effort, qu’ils se sont même déplacé à Rome, pour visiter le musée de la ville. Je commençais à dresser mes oreilles devant ces détails qui révélaient l’intérêt sincère et non matériel, de ces deux artistes pour la réalisation de cette œuvre…

            Il me parla de la déception de son Maître qui avait espéré revenir au pays par cette porte.   Je le sentais vraiment peiné pas pour avoir raté ce marché, mais surtout, pour la déception de son maître qu’il devait accompagner dans cette réalisation.

            Mais qui était ce maître ?

Je lui demandais de me mettre en contact avec lui, s’il voulait communiquer bien sûr, sur cet événement.

            C’est ainsi que je découvrais, par la voix, le Maître en sculpture, Boulaine Khoudir, originaire de Bejaia en Kabylie Algérie, par qui cette discipline est arrivée à l’école supérieure des beaux-arts d’Alger ! Maître Boulaine me conta sa révolte, ses déceptions et la nécessité de se réapproprier l’histoire artistique de notre pays. Cela fit l’objet d’un entretien fleuve paru dans un quotidien papier en Algérie et dans la presse électronique. Le titre en lui-même avait bousculé la hiérarchie algéroise : "Sur les traces de Massinissa ou l’arnaque algéroise."

          

L’abus de confiance :

            Aujourd’hui, en pleine troisième vague de la pandémie Covid-19, Moumen me parle d’une autre arnaque, cette fois parisienne. Je ne voulais pas me détourner de mon propos artistique, mais son désarroi devant ce monde sans pitié des arnaqueurs, ne me laisse pas indifférent.

            De quoi s’agit-il ?

            Pendant le chantier de la « migrance », André m’avait effectivement parlé d’un sponsor qui s’était engagé à lui réaliser le coulage de trois œuvres en cours. Il devait en réaliser deux copies originales de chaque œuvre : l’une pour le collectionneur l’autre pour les besoins de l’artiste qui doit aussi récupérer ses moules et bien sûr, recevoir une contrepartie financière. J’étais content pour lui et l’encourageais à la prospection d’autres débouchés. Je lui avais proposé le musée de l’émigration avec qui j’ai discuté l’éventualité de contribuer à leur revue à travers des textes et des photos des œuvres d’André Achour. Ça motivait un peu plus ma fréquentation quotidienne de l’atelier. Je prenais des vidéos, avec mon téléphone, où j’essayais de faire parler l’artiste pendant qu’il travaillait.

L’arnaque parisienne

            La pandémie nous a tous cloués dans nos périmètres privés. Depuis mars 2020, à la veille de rejoindre Paris, la fermeture des frontières me retint, depuis, en Algérie. Donc c’est de là, que j’ai appris la mésaventure de l’artiste plasticien André Moumen Achour qui me la raconta, alors qu’il sortait de sa convalescence due à la covid-19.

L’artiste se confie :

Parler de mon sponsor qui s’est avéré être un escroc me fait mal, parce que l’artiste n’aime que le beau dans l’humain. Il m’a été présenté lors d’une exposition collective à Choisy Le Roi. On s’est échangé les coordonnées. Par la suite, on se rendait visite réciproquement. Il appréciait les œuvres que j’avais réalisées et qui étaient entreposé chez moi. Il a surtout flashé sur deux discoboles grecs que j’avais réalisés à l’école supérieure des beaux-arts de Paris. C’est un collectionneur d’art amateur. À sa demande, je lui ai cédé ces deux merveilles pour un prix symbolique. Il m’a promi de me réaliser un atelier, mais rien à ce jour. On était devenu de bons amis. Il me promit de sponsoriser mes futures œuvres. Je le crus. Je l’en remerciais, naïvement, me voyant libéré des contraintes financières. Il insistait que dorénavant, il serait à ma disposition ! Pour un artiste, le sponsor est très important. J’étais confiant.

Plus tard, il a même essayé de me déposséder de ma propriété composée de ma maison et de son jardin. Il me disait qu’il allait tout raser et construire un bâtiment où j’aurais mon logement et un atelier. En attendant il me déménagera dans son atelier… Heureusement que je ne l’écoutais pas. Pendant tout ce temps j’attendais le coulage en bronze de mes œuvres, comme il s’était engagé à le faire. Chaque fois il me faisait patienter, pendant plus de deux ans et demi, maintenant ! Voyant que cela s’éternisait, j’ai demandé à récupérer mes moules ! À chaque fois que je lui en parle, il détourne la discussion et trouve des excuses pour ne pas les restituer.

À chaque fois je l’appelle il me dit toujours, au moins je vais t’en faire couler une en Bronze, d’autres fois, il ne me répond même pas au téléphone, même si je lui laisse un message. Il sait bien que je vais lui parler de mes moules. À chaque fois que je l’ai eu, il trouve une excuse pour dire n’importe quoi, mais jamais la vérité. Il cherchait à m’embrouiller.

Un jour il m’appelle, c’était au mois de mai 2020, il me dit je suis en Belgique, je lui dis je suis en train de couler un moule en poudre de marbre et du ciment blanc, je fais une expérience !

Il me dit : mais tu es toujours au travail ! Comme s’il me croyait découragé. Je lui répondis : oui, justement je fais cette expérience pour récupérer mes moules et pour les couler avec la même technique. Sa réponse par un « ah ! Oui ! » a trahi ses attentes. J’insistais pour lui faire comprendre que je tenais à mes œuvres et mes moules.

Alors, il lâcha : tes moules, ils sont partis dans la déchetterie. Depuis, j’ai tout essayé pour lui faire entendre raison. Il est allé jusqu’à me menacer de porter plainte contre moi pour diffamation et de me réclamer 50 000 euros de dédommagement !

C’est en juillet 2020 que j’ai décidé de porter plainte pour abus de confiance, après avoir pris conseil.

 

Question d’actualité :

            La question de la survie de l’artiste et de l’évolution de l’art dans sa splendeur revient quotidiennement au centre des débats sans pour cela trancher la question. On en demande trop à l’artiste englué dans ses visions. Il devrait y avoir des structures d’assistance juridiques et des centres d’accompagnement d’artistes porteurs de projets maturés.

            Puisse la justice rendre ses œuvres à André Achour qu’il puisse les exposer à tous les publics au leu d’enrichir le parc d’un particulier véreux.

André Achour au prise avec la fabrication des moules de ses œuvres

Mhamed Hassani

Poète dramaturge romancier

Chroniqueur culturel

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La fugue du 20 avril

3 Mai 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel

La fugue du 20 avril

Vingt vins pour une commémoration sans témoin

 

   

    Trop de vingt sont passés sous silence et sous les ponts du temps amnésique sans que naisse cette reconnaissance mutuelle entre êtres humains qui partagent un espace, un territoire, une planète, sans oublier les autres espèces.

       Trop de vins ont transité par nos gorges déployées pour condamner les dictatures éclairées et défroisser nos rêves.

     Trop de vains espoirs sont réveillés à chaque détour, pour les sacrifier sur l’autel des dieux repus de nos soumissions.

      Et les dates commémoratives continuent leur cycle régulier, avec une orthographe de plus en plus perturbée et des sens de plus en plus controversés. Et notre identité, acculée et persécutée, se rabougrit un peu plus chaque année. Hère mal aimé, je la cherche dans mes cahiers, alors qu’elle rode comme un fantôme sans corps à habiter.

     Et nous voilà happés par une pandémie mutante qui a su exploiter les failles de notre monde mal construit. Au moment où tout est remis à plat, les forces antagonistes sont de nouveau en concurrence, alors que nous avons besoin de complémentarité et d’harmonie, pour écrire une meilleure symphonie.

      Il nous appartient de ne pas perdre le fil de notre humanité qui est notre combat face à toutes les agressions.

En ce vingt avril 2020, une envie terrible de déconfiner me prend !

 

- Allô mon ami !

- Azul ay amdakel !

- Tu peux passer me récupérer pour faire un tour en ville ?

- Avec plaisir mon ami ! Moi je suis tout le temps confiné dans ma voiture ! Je passe dans un quart d’heure !

 

       Voilà, j’ai fini par craquer, j’ai appelé Aksyl à la rescousse. Il va venir me chercher. Depuis le début de ce confinement je n’ai pas vu la ville, le centre-ville ; ça me manque, place Said Makbel, esplanade de la maison de la culture Taoes Amrouche, liberté d’expression, liberté de création, liberté de vivre avant de mourir, tout me manque ! Place Guydon et place Lumumba, art de la rue et rue des arts, Boulevard Amirouche et rue du vieillard, Bordj et autres citadelles, Brise de mer et Saints délaissés ! Ah faire la cour à la ville de mon adolescence ! Retomber amoureux de la jeune fille accrochée au grillage du lycée, le regard bercé par l’horizon bleu de la Méditerranée…

          J’ai prétexté quelques commissions à faire en ville et quelques affaires urgentes à expédier avec mon ami Aksyl et me voilà en tenue de sortie à attendre à l’arrêt de bus. J’ai pris ma compagne de vitesse, elle qui s’est soumise aux règles du confinement strict.

         Comme il n’y a plus de bus, comment va-t-on appeler ces endroits ? Des… Point de rendez-vous ? Imaginons un monde sans bus. C’est bien, parce qu’en kabyle, il n’y a ni arrêt ni bus. On ira directement à la nouvelle dénomination. Tanouqit n temlilit. À moins qu’on s’entête encore à nommer les choses nouvelles dans la langue de l’autre. Nous naissons polyglottes dans cette contrée ouverte sur la Méditerranée. Tout ce qui ne naît pas sur notre sol est étrange et ne peut être nommé qu’en langue étrangère. Notre identité est immuable, n’est ce pas ? Pourtant même le coronavirus mute…

        Baliverne tout ça ! Nous sommes l’humanité ! Toute l’humanité descend de notre continent !

        

    Aksyl me récupère, de justesse, avec sa camionnette rouge, avant que je ne fasse ma révolution sous l’abri bus vide et désolé. Un grand drapeau berbère flotte sur l’arrière du véhicule et une chanson du printemps noir déchire la lugubre atmosphère de cette fin de monde virussée ! Je prends place, au côté du conducteur, sans le geste traditionnel de se faire la bise, ni de se serrer la main. Un regard et un salut du bout des lèvres, aussi timide que celui de deux nouveaux amoureux. Il laisse son chanteur préféré scander « pouvoir assassin » attirant le regard intrigué des rares passants et me privant de parole. Je ne peux rien placer, même si j’ai des questions à poser sur la ville et ses transformations. Je crie « qu’est ce qui se passe en ville ? ». Il bloque le son de son poste. « Quoi ? » je répète mon interrogation. Il hausse les épaules et relâche la meute vocale en aboyant avec : RIEN ! Il m’impose son déferlement et accélère pour rejoindre la voie la plus fréquentée de la ville. La circulation automobile est si intense que l’interrogation naît de fait : qu’est ce qui se passe ? RIEN ! Ceux qui ont des véhicules organisent un confinement ambulant ! Aksyl joint sa voix à celle de la chanson pour demander « qu’on nous laisse le chemin pour passer, que nos mains ne sont pas faites pour frapper mais pour écrire et nos pieds pour se tenir debout pas pour fuir, laisser nous passer… » Aksyl est l’émeute et moi l’hors-émeute ! Je n’arrive pas à intégrer l’histoire, toujours en décalage. Lui est dans l’immédiateté pendant que moi, je baigne dans la distanciation ; et nous sommes confinés dans une capsule qui fonce à travers l’épopée du covid-19 !

            Aksyl, le touche à tout. Artiste, artisan, poète, cinéaste… Il travaille le bois et d’autres matériaux pour créer des décors et des commodités. Mais, chaque fois que l’occasion se présente, il déclame ses poèmes du printemps noir, sa poésie du meurtre et de l’insoumission. J’ai l’impression que son esprit s’est bloqué sur l’image d’un adolescent qu’on assassine. D’une culture vouée à la destruction, il voudrait, à lui seul, relever le défi de retrouver un printemps en couleur : il donna des prénoms qui tonnent et qui grondent à ses enfants, va jusqu’à tordre le cou de son propre prénom et de celui de sa femme ; tout reprend racine dans la terre vierge des ancêtres. Contre vents et marées, il inscrit son avenir à coups de burin dans son environnement.

            Et ce matin encore davantage, il veut arracher à la ville le râle des jeunes assassinés, torturés, handicapés à vie, rescapés sans devenir. Il veut arracher ses concitoyens à la monotonie du confinement historique pour qu’ils se répercutent sur les murs de la ville, que leur chant de révolte ravive le sang de martyr sur les boulevards de la liberté, reconquis épisodiquement, jamais définitivement.

            Je suis éclaboussé par l’éclat rageur de son regard pourtant plein de douceur. Je sens le cri inabouti et la larme qui refuse de couler. Je sens l’ardeur retenue sur le gué du débordement. Hier encore, les marches populaires affermissaient le pas vers plus de certitude ! Aujourd’hui, le silence de la menace autre, désoriente le cœur et sème le doute parmi les plus faibles. Aksyl redouble de vigilance ! « on m’a volé mon drapeau ! S’écrit-il tout à coup en freinant sec, au risque de provoquer un immense carambolage ! « on m’a volé mon drapeau ! »

            Je me rends compte qu’effectivement le drapeau, qui flottait à l’arrière, avait disparu ! Je lui dis : mais qui peut bien le voler et pourquoi ? Peut-être un jeune qui veut défiler avec ? Il me regarde mécontent : non, c’est quelqu’un qui n’est pas content de le voir flotter ! Un de ces serviteurs zélés de ce système de merde !

À ce point ? Un vingt avril ? Qui oserait ? Je m’étonne révolté à mon tour !

Les fils du péché ! Ça les dérange tellement de le voir flotter !

            Entre-temps, il est descendu malgré les klaxons et les vociférations des automobilistes, va à l’arrière du véhicule et je le vois ramener le drapeau que le vent avait renversé sur le toit de sa camionnette ! J’éclate de rire. Le plus bizarre, c’est que les automobilistes se sont arrêtés de klaxonner et de vociférer dès que l’étendard s’est remis à flotter ! Ils marquent un temps mort qui fait beaucoup de bruit. Même Aksyl, de retour à son siège, reste un moment surpris. Il me jette un coup d’œil brillant et sans avertir, instinctivement appuie sans fin, sur son klaxon. Rapidement tous les klaxons suivent en cascade et en continu ! Alors Aksyl démarre et la circulation anodine de tout à l’heure se transforme en défilé de véhicule qui célèbre le 20 avril. Le drapeau d’Aksyl flotte dignement dans la journée du 20 avril 2020 en plein confinement ! Aksyl est heureux et moi je me laisse entraîner. Je me mets à chanter : laissez nous passer…

            On fait le tour de la ville entraînant le convoi imprévu, puis, petit à petit, le cortège maigri, jusqu’à nous retrouver, de nouveau seul à klaxonner et à hurler « laissez-nous passer ! ».

            À mon tour je demande à Aksyl de me déposer. Il me raconte que lui ne rentre qu’à la dernière minute avant le couvre-feu et qu’il s’amusait à rôder dans les carrefours où se postaient les brigades de surveillance. Pourquoi ? Lui dis-je étonné.

Parce qu’eux me surveillent et moi je leur donne un petit espoir de me prendre en flagrant délit de rupture du confinement ! Et chaque jour c’est comme ça !

            Sacré Aksyl ! Son regard brille de mille feux pendant qu’il jure de ne jamais abdiquer ni capituler, qu’il fêtera le vingt avril jusque dans sa tombe quand il rencontrera les martyrs du printemps amazigh.

Avril 2020

Mhamed HASSANI

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La fugue

30 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité, #nouvelles littéraires, #publié dans Kabyluniversel

Enfermement 4

La fugue

 

      

   Aujourd’hui, c’est le tour des poubelles. Les déchets encombrent le balcon, il faut bien s’en débarrasser et pour cela, il faut bien sortir ! Ultime parade, sa femme consent à le libérer. Trois jours sans sortir, il commence à s’adapter à ce rythme, qui lui paraît raisonnable. Vivre confiné, une fiction réalisable, pense-t-il, avec toutes ces perspectives de guerre bactériologiques et covi-19 en fait partie, pour certains esprits avertis ! Bon, mais nous citoyen lambda on est terre à terre, on vit au rythme de notre présent. Donc aujourd’hui, évacuation des déchets vers le coin désigné à cet effet, situé à 300 m de chez lui. Un simple trottoir où tout le quartier dépose ses ordures. Il s’équipe comme il peut : la même tenue, veste et pantalon, plus une bavette artisanale confectionnée par sa chère femme et un casque qu’il a confectionné lui-même avec un plastique de couverture récupéré et un élastique. Il est prêt pour l’expédition.

       Sa pigeonne couve toujours dans son coin, depuis qu’ils lui ont foutu la paix, ils attendent impatiemment la couvée… Bavette sur la bouche et le nez, masque sur le devant du visage, gel antiseptique en poche, poubelle pendante à chaque bras, le voilà descendant l’escalier prêt à affronter l’extérieur.

          Sortir du bâtiment pour entrer dans la lumière du jour. Aveuglément. Adaptation, regard alentour, découverte du monde extérieur, désert. Des silhouettes çà et là. Premier magasin d’alimentation, le plus proche, destination de ses sorties alimentaires à 200 m. Il le dépasse allègrement, juste un regard explorateur sur la porte ouverte mais obstruée d’une table comptoir. Personne en ce moment. Un arrêt de bus vide. Quelques véhicules passent, de temps en temps, furtifs. Il traverse la rue. La décharge est de l’autre côté. Il dépose ses sachets bien remplis et humides sur le trottoir déjà encombré. Il se frotte les mains, pour faire tomber d’éventuelles particules invisibles. Il sort son gel, se nettoie les mains en marchant sur le chemin du retour.

        Retour ? Pourquoi ? La cage d’escalier puis l’autre cage, une succession de cage qui rebute. Il regarde les quelques silhouettes qui circulent à des distances plus que sécuritaires ! Pourquoi pas ? D’un coup, il change de direction. Il marche vite en lançant des regards à gauche et à droite. Il se sent sous surveillance. Il marche de plus en plus vite. Il s’éloigne de sa cité. Il bifurque, change de trottoir à plusieurs reprises. Tentative désespérée de semer l’ennemi invisible ou de se semer ? Rire nerveux. À partir de ce moment il ne s’appartient plus. Il se voit réintégrer le monde.

            Il sort du bétonville et prend à travers les champs. Une route qui mène vers la mer. Il se sent déjà mieux entre les clôtures des deux vergers d’orangers qui délimitent la voie qui mène à la plage. Il enlève furtivement son masque, puis sa bavette. Il respire un bon coup de bonheur. Il sourit au ciel complice et aux arbres approbateurs. Il voit un papillon blanc, un petit papillon qu’il a du mal à suivre du regard sans ses lunettes, rangées dans sa poche. Marcher, soleil printanier sur son visage, lui arrache sourire. Marcher, se déplacer entre haies fleuries. Silence et chants d’oiseaux invisibles. Brise marine caressante, souvenir d’un autre temps. Marcher vite, le corps se propulse, l’esprit le calme. Marche calmement lui souffle-t-il dans la brise, la nature te regarde, t’évalue, te récupère à petites doses.

         Au bout du chemin, une montagne de déchets de matériaux de construction : plâtre, morceaux de mur en parpaing, sacs de ciment vides… Il grimpe sur les débris, pressé de voir la vague, le large, l’immensité bleu ! Il faillit tomber, plusieurs fois, avant de se retrouver dans le terrain fait d’amas de terre déposés là, depuis plusieurs saisons, maintenant couvert de végétation. Au loin l’horizon bleu. Son cœur bat et il avance à l’aveuglette. Tantôt dans un creux, tantôt une colline, avec les herbes et arbustes jusqu’à la taille. Arrivé à l’extrémité du plateau, il se retrouve au bord de la bande sablonneuse qui mène à la mère agitée ; il reste un moment à la dominer, le torse gonflé et le regard conquérant. Puis, il déboula la pente argileuse pour sentir ses pieds s’enfoncer dans le sable moelleux. Involontairement, il se met à courir dans l’étendue silencieuse et offerte, à la rencontre de la vague qui patine dans sa direction. Il s’arrête, se retient pour ne pas courir. Regarde autour de lui. Rien, aucune présence humaine. Quel réconfort ! Quelle sécurité ! Il se met à tourbillonner les bras en hélices. Des oiseaux s’envolent de-ci de-là, pas du tout effrayés, plutôt dérangés. Quel calme et quelle paix loin des humains ! Loin des humains ! Drôle de sensation tout à coup ? Les humains s’étaient mis en société pour se sécuriser, non ? Voilà qu’ils se fuient pour se sécuriser ! Sourde panique, mais heureux, momentanément, d’être seul, pas définitivement ! reconnait-il, presque à haute voix.

         

       

Il marche, nonchalant à quelques mètres de la vague un peu agitée. Il redevient un peu celui de tous les jours d’avant, faisant sa promenade pour se réconcilier avec lui-même, son entourage et le monde. Puiser un peu de sérénité au fond de soi, loin des bousculades du présent, des jeux de contrôle et de diversion. La pandémie redistribue les cartes, pouvoir et société se jaugent sur la base des initiatives de terrain. Demain se joue aujourd’hui disent certains pendant que d’autres suggèrent que tout est joué d’avance, dans les séries de science-fiction. La pandémie se décline en termes de contrôle des sociétés. Ce n’est plus une maladie, mais le virage technologique de l’humanité. Il marche et il mâche sa vision étriquée des prochaines années, quand il sera loin de ce monde perturbé. Il jettera un regard, toujours intéressé, sur ce monde que nous n’avons pas su gérer. Il marche et il mâche sa joie de marcher comme un chewing gum qui perd de plus en plus de son goût énergisant, à l’approche de quelques humains qui traîne un chien ou un enfant surexcité. Il remet sa lingette et son casque, remonte lourdement vers son bétonville, retrouver ses cages, sa pigeonne et sa compagne, son confinement sanitaire, après une douche soulageante et la désinfection de ses attraits, qu’il suspendra jusqu’à la prochaine sortie.

            Essoufflé, il regarde les infos, simultanément, sur plusieurs chaînes de télé et sur son smartphone qu’il avait abandonné sur la table. Une douche d’information qui lui fait aimer son confinement, sa prison. Le monde s’accélère sur les plateaux de télévisions et les fils d’actualité de son téléphone. Il s’enfonce dans cette agitation virtuelle pour plonger, doucement, progressivement, enroulé sur lui-même, dans un sommeil fœtal. Il n’est pas encore né. Il est confiné dans le monde d’avant.

 

Avril 2020

Mhamed HASSANI

 

 

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Enferment évolutif 2 Le couple de pigeon

19 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #articles et entretiens publiés, #publié dans Kabyluniversel

 

Le couple de pigeons

     

     

     J’en viens à l’objet de mon propos. Oui, je voulais parler de ce couple de pigeon qui vient d’élire domicile dans la cage d’escalier ; sur un bord de quelques centimètres, il a bâti son nid. Je m’en suis rendu compte hier matin. C’était mon jour de sortie pour les commissions. Je les ai trouvés affairés quand ils m’ont vu sortir, du néant pour eux, ils se sont arrêtés, m’ont scruté un bon moment où j’étais moi-même figé. Quand ont-ils eu le temps ? Me dis-je surpris. J'ai appelé ma femme et lui montrais l’œuvre. Elle s’est exclamée : ils vont nous salir la cage ! Bien sûr, elle pensait cage d’escalier, mais le fait qu’elle s’arrêta là, me fit rire à l’intérieur : oui, il s’agit bien de cage pour nous. Eux, ils s’en servent seulement pour se reproduire. Elle m’ordonna de le détruire avant qu’elles n’y mettent leurs œufs. Elle me ramènea un balai. Dès mon geste vers eux, les deux pigeons battant des ailes, sortirent par une ouverture provoquée…

          Une autre histoire de voisin de palier. Un émigré qui a racheté ce logement pour y passer ses séjours au pays. Originaire des hauts plateaux, il ramène sa famille périodiquement aux vacances d’hivers, printemps et été. Et aux dernières vacances d’hiver, il s’est mis en tête de réchauffer son appartement au gaz de ville, moins cher que l’électricité. Il cassa son mur donnant sur la cage et mena son tuyau d’évacuation jusqu’à la façade extérieure qu’il dut casser aussi. J’étais arrivé au mauvais moment. Je me mis en colère en lui expliquant qu’il n’avait pas le droit de toucher aux parties communes ! Et j’ajoutais « pourtant vous revenez d’un pays où ces choses-là sont strictes ! » Il me dit qu’il n’avait pas pensé à ça, qu’il n’allait pas le faire, qu’il annulait cette perspective. Il abandonna l’ouverture pratiquée sur la façade extérieure, béante, ramassa ses échelles et ses marteaux et je ne l'ai plus revu depuis.

          Et aujourd’hui, les pigeons s’y glissent à chaque saison. Je les chasse quotidiennement les empêchant de nicher. Cette année, ils ont profité de ce confinement pour me prendre de vitesse. Donc je détruis le nid de broussaille, une fois les pigeons partis.

           Vous voyez, en temps de confinement tous les détails remontent en surface. Les histoires de voisins, de pigeons, de mendicité et d’insécurité. Bah, la mort qui nous attend se fait oublier grâce à ces détails.

           Je reviens à l’essentiel de cette chronique, les pigeons dont on a détruit le nid dans la cage d’escalier.

         

  Le lendemain après-midi, ma femme s’aventure sur le palier à mon insu, ce qui est rare depuis cette pandémie. Elle m’appelle, scandalisée, pour me dire : regarde ! Les pigeons ont reconstruit leur nid et il y a déjà un œuf pondu !

           J’arrive et constate la chose. Vraiment surpris de la diligence de ce couple ailé. En vingt-quatre heures, tout est remis en place et l’œuf en plus. Ma femme, très superstitieuse et respectueuse de la vie, m’ordonne de laisser la couvée se poursuivre, puisque la chose est faite. Au fond de moi, j’en ris, émerveillé par ce couple têtu. Nous retournons dans notre cage, laissant le couple roucouler, à son aise.

 

Avril 2020

Mhamed HASSANI

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Le nouvel ordre

16 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel, #articles et entretiens publiés

Le nouvel ordre

            À coups de condamnation et d’angoisse, d’enterrements sans condoléances, le nouvel ordre s’annonce. Il a trouvé son terrain favori fait de morgue et d’incurie.

                Il se régénère et se consolide, à coups d’interdiction et d’ordonnance, pour notre bien et celui de notre descendance.

                 Il se met en place dans le silence des confinements sanitaires, d’encadrements sécuritaires et de réseaux satellitaires. Il interdit les révoltes solitaires sur les réseaux sociaux, les TV libertaires, les journaux volontaires et autres supports de mots dissidents.

               Il racole pour son avenir fait d’autorisation et d’interdiction, d’autoflagellation et de soumission, d’où seront bannies l’innovation et la passion, le libre arbitre et la libre expression.

              L’être humain n’est plus qu’un animal social qu’il faut dompter, pas éduquer. Il n’a de bon que ce qu’on l’oblige à faire, sinon son animalité reprend le dessus. Pas d’auto-confinement ni auto-organisation, c’est mauvais pour sa domestication et préjudiciable à sa castration.

        Le nouvel ordre vous prend vos mots et vos rêves, bouleverse vos définitions, renverse vos intentions et célèbre vos retournements. Il tire plus vite que votre sincérité, conjugue à sens unique tous les verbes en avoir et accorde l’être à son bas-fond.

            Alors courage, mettez un peu de rage dans l’amour à votre entourage, ne le laissez pas tomber, aidez-le à se relever, à reconquérir sa verticalité et à regarder au loin.

           Quand viendra l’heure de sortir, leur arsenal sera fin prêt et nous, nous aurons toujours une longueur d’avance, parce que nous sommes porteurs d’un virus encore plus dangereux pour eux : le virus de la désobéissance !

Avril 2020

Mhamed HASSANI

Écrivain

 

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Enfermement 2 - le couple d'enfants

11 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel, #nouvelles littéraires, #articles et entretiens publiés

Enfermement 2

le couple d’enfants

 

     

         En plein confinement pour cause de pandémie covid-19. Avril 2020. Le silence a gagné la contrée, le quartier, le bâtiment et même les appartements. Le couple fait sa promenade, de salon en chambre, de chambre en salon, puis, de temps en temps, aux toilettes. La télévision est éteinte. Le silence gambade dans l’appartement, le bâtiment, la cité, la ville, le pays et toute la planète. Les couples font leur promenade d’intérieur, séparément. Il leur arrive de se croiser dans la cuisine.

     

        Soudain, la sonnette de l’appartement, comme une sirène d’alarme, déchire le silence. Le couple s’immobilise, chacun est figé à une extrémité du salon. Lui est devant la porte d’entrée. Il se précipite pour coller son œil à la lorgnette de la porte. Qui ? Qui ? Il voit un visage tout proche, jeune, souriant à quelqu’un d’invisible. Il entrebâille la porte et lui demande : que viens-tu faire ici ? Tu devrais être à la maison ! Alors, il découvre la deuxième présence, une jeune fille enfoularée. « Rentrez chez vous, ne traînez pas ici. Partez partez ! »

      Le couple d’enfants se retourne, apeuré, pour redescendre l’escalier, hésitant. Lui les poursuit de son « rentrez chez vous » d’un ton qui se veut paternel, mais qui suinte la peur et la colère ! Le couple d’enfants redescend l’escalier, presque à reculons, attendant sûrement un rappel. Lui rentre et ferme la porte, essoufflé. Sa femme, statue figée à l’endroit, lui demande : De quoi s’agit-il ? Il répond en bégayant : Des enfants qui jouent ! Puis il se précipite vers la fenêtre donnant sur la cour de la cité. Il voudrait suivre la trajectoire du couple d’enfants, comprendre son intention.

        Au bout d’un moment, les voilà qui sortent de l’ombre pour traverser la cour vers l’autre bâtiment. La jeune fille enfoularée traîne un chariot à commission qui paraît vide. Le gamin marche devant comme un éclaireur. Ils mendient sûrement, se dit-il, angoissé. Il ne les avait même pas questionnés ! Il aurait pu leur offrir quelque chose, en profiter pour leur demander des nouvelles de l’extérieur… Ils rentrent dans le bâtiment d’en face pour en ressortir en courant et en surveillant leurs arrières, comme s’ils avaient été chassés ! La cité est fermée et les deux petites silhouettes déambulent, agitées par le vent qui balaye, silencieusement, ce monde déserté. Les deux ombres, virgules sombres, slaloment entre les bâtiments rigides, avant de disparaître. Un monde mourant qui n’a plus rien à donner au futur ; un monde qui reste confiné dans l’attente de la mort. Marmonne-t-il, derrière sa vitre, le regard perdu dans le ciel gris déchiré par quelques rayons métalliques d’un soleil d’outre tombe, en cette journée pandémique.

          Il a honte et pense qu’il n’aurait pas l’occasion de se rattraper, ni d’en savoir plus sur le monde extérieur. La peur habite les cœurs au point de les induire en erreur. La peur, diffusée par tous les réseaux, a fini par fermer les portes de la solidarité humaine, raison d’être de nos sociétés. N’est-ce pas ? Jamais, au grand jamais, il n’avait fait un tel geste ! Renvoyer des enfants qui chercheraient de quoi manger ou nourrir leur famille ! Il conclut que la peur qui a ressurgi au gré de la pandémie, archaïse la société, la fait retourner à ces impulsions primitives. On n’arrête pas de nous mettre en garde contre les voleurs et les agresseurs, à toute heure, de jour et de nuit. Il paraît même que les enfants sont des porteurs sains de ce virus mortel ! Et voilà le résultat ! On se méfie, on se justifie et on rejette plus faible que soi ! Et demain, on se débarrassera des charges inutiles, dans la froide logique induite par la nécessité !

          Au fond de son être, il souhaite très fort, les voir revenir et réparer son geste dicté par la peur irraisonnée.

         Le soir, le gouvernement annonce un confinement total, pour le lendemain, sous surveillance militaire, compte tenu du non-respect des consignes et des risques de dépassement sur les biens d’autrui.

        Beaucoup se sont repliés vers leur village natal, en campagne. Un geste de survie, croyant éloigner le danger en se réfugiant au berceau.

       Il se rappelle avec nostalgie la vie de tadart, de son village en montagne ; cette méfiance et cette peur n’existaient pas. Les maisons étaient ouvertes, jamais complètement fermées, on ne s’imaginait même pas être agressé chez soi. Maintenant, la ville, la cité comme une jungle ne pardonne pas les négligences sécuritaires.

         Une fois, il a voulu chasser des jeunes qui occupaient le hall d’entrée ; mal lui en prit, il se fit insulter par la bande qui cuvait son vin, en cachette. Ils lui dirent qu’il n’était pas au village, qu’ici il devait s’occuper uniquement du seuil de sa porte, pas de l’entrée du bâtiment. Il revînt sur ses pas, chez lui, prit un manche à balai et redescendit vers eux. À sa vue, ils prirent la fuite. Le vieux ferma le portail d’entrée et remonta chez lui. Il n’y avait et il n’y a toujours pas d’organisation pour la propreté et la sécurité des cités. Les habitants sont récalcitrants à toute organisation, parce que chacun enfreint la loi, là où ça l’arrange. L’enfermement est dans les mentalités avant d’être dans la cité, conclut-il en rejoignant son fauteuil face à la télévision qu’il a en horreur, mais que sa femme s’entête à allumer pour entendre la mort, ânonner en direct.  

Mhamed HASSANI

Prochaine chronique:  Enfermement 3 - le couple de pigeons

 

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journal d'épi-demain

24 Mars 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel, #renouveau culturel

Journal d’épi-demain

     

Y en a qui ont mis en route un journal de confinement, notant dans le détail leurs pérégrinations quotidiennes dans l’espace qu’on leur a alloué ou qu’ils se sont alloués.

       Chacun redécouvre sa condition supposée dans une société confinatrice malgré son semblant d’ouverture sur l’autre.

     Il parcourt des yeux le cumul de sa vie en matériel inutile, en confort absurde qui ne le protège de rien. Il parcourt à pied, en comptant les pas, son appartement qu’il a arraché par la force de ses relations même au bas de l’échelle sociale. Il s’amuse à diviser le nombre des années par le nombre de pas, trouve que le rapport était ridicule. Chaque pas lui a coûté tant d’années de labeur et beaucoup de misères morales.

    Lui n’arrête pas de triturer les commandes du confort acquis, mais n’arrive pas à en sentir l’apport sur sa santé en sursis. Alors, il se lève et prend un verre d’alcool pour retrouver le confort qu’il s’était imaginé. Rien à voir, comme si le clown se donnait en spectacle devant une salle vide. Même pas un miroir !

   Puis, y a ceux qui ont mis en route un journal de non-confinement, notant les détails de l’évolution épidémique dans son rayon, mettant en relief les comparaisons pandémiques, alignant des chiffres que le temps traduira en courbe.

   Y en a qui oublient que ces chiffres sont des êtres humains qui s’allongent chaque matin pour ne plus prendre leur petit déjà en famille. Ils servent des statistiques pour la postérité.  

     

     D’autres notent, pendant leur pause, l’effort qu’impose cette pandémie. Il note son envie d’être chez lui, à bercer ses chéris. Mais, quand il a choisi ce métier, il savait ce qui l’attendait, entre bonheur et malheur, l’être humain ce déséquilibré, a toujours besoin d’être sauvé pour continuer son bonhomme de chemin. Il note ce regard qu’il vient de réanimer. Une fierté profonde gonfle sa poitrine et le fait retourner dans la salle des urgences. Chaque vie mérite d’être sauvée, il n’est pas juge, il est médecin ou sapeur-pompier.

 

Y a les confinés politiques, dans les prisons, que personne ne revendique en cette saison ; pendant que beaucoup gèrent le présent, d’autres surveillent le futur, comme au bon vieux temps de la guerre de libération.

 

 

 

     Puis, le poète s’insurge et confine son verbe de panurge pour libérer son esprit des jérémiades. Il a besoin d’espace en contrepartie de son économie de mots. Hier encore on le maudissait pour ses extravagances ; aujourd’hui on le caresse pour lui arracher un bon présage.

      L’artiste se rétracte, ne sait s’il fait journal ou récital. Il opte pour un direct optimal sur la toile ; partagez sans rechigner ce nouveau régal pour les confinés du journal, Covid-19.     

Prenez journal, confit ou pas, notez vos impressions, ça servira après, pour en rire ou en pleurer ou simplement témoigner.

Mhamed HASSANI

Écrivain

 

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L'écri-vain et le mouvement citoyen

3 Février 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles et entretiens publiés, #Tamazight: débats, #articles parus dans le quotidien La Cité, #publié dans Kabyluniversel, #poèsies, #renouveau culturel, #poèsie et arts plastiques

L’écri-vain et le mouvement citoyen

     

 Ma première langue a été pour moi libératrice. L’ayant perdue au profit de la langue française, lors de ma scolarisation en France, j’ai pu la récupérer à 10 ans lors de mon retour définitif en Algérie où j’ai continué ma scolarité. Cette rupture et cette réappropriation linguistique ont été pour moi la plus grande révolution à l’échelle individuelle. Ma deuxième révolution, c’est de passer de l’oral à l’écrit dans ma langue première au début des années soixante-dix. Exprimer toute ma vision en kabyle durant mes vingt ans m’a suffi pour ne plus me sentir redevable à quiconque de mon identité. Ma langue a toujours porté mon discours d’insoumission et de révolte dans ma jeunesse. Parce que je considère que toute greffe de modernité sur notre société doit passer par la langue première. La dictature éclairée de Boumedienne avec ses brassages de population et sa politique de division, n’a fait qu’allumer les brasiers de notre future discorde, sans jamais entamé le socle de notre africanité et de notre berbérité qui ressurgit de plus belle avec le mouvement du 22 février.

    Ma prise de parole au présent, c’est pour dire qu’il nous appartient à chacun de se libérer lui-même de toutes les entraves qui l’empêche d’arriver à soi. Cet élan vers nous-même est l’essence de toute évolution pour ne pas dire révolution.

    Parler de tamazight sans état de droit ne répond pas à mes questions. Il s’agit de garantir tous les droits humains (dont le droit linguistique) à tous les citoyens de ce pays. Une langue qui ne se développe pas dans le combat citoyen risque d’enfanter autre chose qu’un état de droit.

   Parler de révolution sans voir les milieux du travail bouger, devient problématique. Il nous appartient de reprendre l’initiative dans tous les espaces de production.

   Le mouvement citoyen est le creuset de la révolution citoyenne qui doit irriguer toute la société dans sa composition et sa diversité.

   Alors que chacun joue son rôle, là où il est actif, il doit se remettre en question et travailler à l’union pour le changement vers le meilleur.

  Les travailleurs de tous les secteurs doivent se questionner et trouver le déclic pour une meilleure organisation de leur force. Il n’est pas interdit de s’informer individuellement et collectivement pour accéder à une réelle citoyenneté.

  Dès octobre 1988, comme je le disais ailleurs, cette ouverture forcée a permis la libération de toutes les tendances enfouies cachées ou emprisonnées. Nous n’avons pas su canaliser nos énergies et positiver nos diversités devant le pouvoir malsain de la rente qui nous dispense de réfléchir et de produire. La course à la rente a fait éclater tous les consensus, laissant la voie au système pour se régénérer de plus belle jusqu’à revenir à la case départ et même pire qu’avant.

Le large tissu associatif, né de cet élan, s’est vite auto-condamné parce que piégé de l’intérieur, comme tout ce qui s’est créé en cette période : partis politiques, syndicats…

À chaque pas, c’était le contre-pas du pouvoir en place. Et nous avons piétiné nos propres idéaux. Beaucoup diront qu’ils ont avancé et faits des acquis, mais, ils ne parlent que de leurs acquis personnels oubliant la masse de la société marginalisée.

Et à chaque fois que la masse bouge, l’élite trébuche, parce qu’elle n’était pas à l’écoute. S’il y en a qui étaient à l’écoute, ils n’ont pas l’endurance ni l’expérience du peuple dans son entité, du peuple qui a survécu à tous les coups tordus de l’histoire.

Que le peuple s’exprime et l’élite devient muette. On nous rabâche que le 1er novembre 54 s’est fait par une poignée d’hommes, sans nous dire que cette poignée d’hommes n’a jamais baissé les bras ; ils ont maintenu leur objectif, malgré toutes les entraves, jusqu’au point de basculement vers l’indépendance physique du pays.

C’est la mission qui incombe aux inconditionnels du mouvement citoyen du 22 février : maintenir la cadence et le cap jusqu’au basculement vers la nouvelle république et l’état de droit.

Et le mouvement citoyen est assez riche de citoyens militants honnêtes et engagés qui iront jusqu’à ce point de basculement.

Les sociétés ont toujours eu des leaders pour avancer. Mais les sociétés ont évolué et ont compris que seuls les grands mouvements peuvent faire avancer la totalité de la société. Chose difficile à admettre par beaucoup d’élites pressées de rentrer dans les rangs des nouveaux maîtres.

Le choc du futur s’annonce difficile si la réaction des peuples n’est pas à la hauteur de l’enjeu planétaire. Ils risquent le déclassement de leurs continents en réserve de matière première pour alimenter les industries modernes des pays dominants qui n’ont besoin que de consommateurs (les peuples de ces continents) et de l’élite, d’où la mise en place d’une émigration sélective et de concentration de nid de violence dans nos continents pour occuper et maintenir ces populations dans la misère économique et sociale à travers les despotes locaux.

L’écri-vaut pour le citoyen par son retour à l’oralité. La citation verbale et les slogans sont une économie de langage comme seule la sagesse populaire peut nous en dicter sans trop parler.

L’écri-saint est le retour en force de la débauche des esprits pervertis que la lumière avait chassés. L’oralité agressive des mosquées est un puissant lave cerveau qui nous empêche d’entrevoir une paix citoyenne.

                L’écri-tôt sert de réveille-matin pour les oublieux de l’histoire et les friands de mémoires. C’est l’avenir qui parle au présent de la marche du temps et condamne l’inertie des sociétés soumises à l’éternité des cieux.

Mhamed Hassani

Écrivain

 

                         

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Tikli

24 Décembre 2019 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #poèsies, #publié dans Kabyluniversel

TIKLI

 

Tikli taghezfant

D tin n umezruy

Tikli tagezlant

D tin n tmacahutt

Fren tikli nek

Ternudt lemri nek

 

Tikli tameqrant

D tin n imira

Kulci din din

Ur rewwel f talit ik

Xreb ifri ik

Tefeghedt âinani

 

Tikli tamxalaft

D tin n tlelli

Cemmer f ighalen ik

Tkerzedt akal ik

Err ed ttar

F yigran yetca usuki

 

Tikli n igerzen

D tin n tagrawla

Imedtlen tiyita

U teskefel ed tirza

Gher wayen yefren

Defir ihulfan n medden

 

 

 

 

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la marche tikli

22 Décembre 2019 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #poèsies, #publié dans Kabyluniversel

La marche

 

La longue marche
C'est celle de l'Histoire
Et la courte marche
Celle de l'histoire
Choisie ta marche
Et aussi ton miroir

 

 

La grande marche
C'est celle du présent
Tout se dit cash
Ne fuis pas ton temps
Détruit ta cache
Et sort les cheveux au vent

 

 

L'unique marche
C'est celle qui libère

Retrousse tes manches
Laboure ta terre
Prends ta revanche
Sur les champs en jachère

 

 

 

 

 

 

La belle marche
C'est celle de la révolution
Qui enterre la hache
Et suggère l'évolution
Vers ce qui se cache
Derrière nos émotions

 

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