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10 Septembre 2019 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité, #Tamazight: débats, #publié dans Kabyluniversel

 

Cette réflexion écrite en 1989 par Mhamed Hassani (qui a, depuis, publié presque une dizaine d’ouvrages bilingues entre poésies, théâtre et roman) nous a paru toujours pertinente, au vue de la problématique posée par beaucoup d’observateurs berbérisants, sur la rareté des slogans en amazigh, à contenus citoyens, scandés par les manifestants du vendredi et du mardi depuis le 22 février 2019. D’après l’auteur, la modernité doit passer dans la langue maternelle pour être effective dans la société, sinon, elle reste un vernis qui craque à chaque changement de température.

 

Langue maternelle et modernité

Par Mhamed HASSANI[1]

 

      J’ai toujours senti la nécessité d’exprimer ma modernité dans ma langue maternelle, parce qu’exprimée dans une autre langue, elle m’apparaissait creuse et sans aucune prise sur mon entourage familial et social.

« Je reviens de toutes mes révoltes existentielles pour me ranger calmement sous la bannière sécurisante du patriarche. Les vieux de la Djemâat[2] me regardaient inquiets et plein de méfiance. Quel sale coup je fulminais dans ma soumission soudaine ? »

    Tant qu’on exprimera ses sentiments, ses réflexions, ses espoirs dans une autre langue, toute évolution paraît illusoire ; puisque le retour à la langue maternelle est un retour à un schéma traditionnel de pensée.

    Aussi toute société ne peut évoluer sereinement et irréversiblement que de l’intérieur. Les apports externes doivent être digérés et intégrés au cheminement de la société, à travers sa langue première.

   Si la société est, en majorité, agressée par la minorité éclairée, dans une langue autre que la maternelle, où et comment se fera cette symbiose tradition modernité assumée ?

  Un rappel des règles de Taqbaylit[3] et toute la tribu se lèvera pour défendre l’ancêtre au regard moqueur !

« Notre élite revient régulièrement se ressourcer et se reposer au creux de la vague maternelle. Elle prend grand soin de ne pas provoquer de remous en étanchant sa soif. L’ancêtre, au regard moqueur, veille. La tribu doit survivre ! »

     Notre mémoire collective doit se mettre à jour, étaler noir sur blanc devant nous, pour en assumer chaque parcelle et en fructifier chaque possibilité par un travail constant, conscient et en profondeur.

     C’est à partir de là que j’ai évalué l’importance et la nécessité du passage de l’oral à l’écrit.

     Il s’agit de créer les canaux nécessaires à la connaissance organisée pour passer des langues vers la langue maternelle, et par là, influer sur l’évolution générale de la société. Sinon, Tajmaât ne se sentira jamais concernée par le mouvement qui agite le monde !

    Tant que le danger viendra de l’extérieur, Tajmaât se sentira rassurée : un rappel des règles de Taqbaylit et toute la tribu se lèvera pour défendre l’ancêtre au regard moqueur et sa mémoire figée.

     Le support de tout message, destiné à l’éducation citoyenne, doit être la langue maternelle, pour éviter la méfiance et l’inquiétude de Tajmaât et introduire le changement de l’intérieur. D’où la nécessité d’intégrer, ici et maintenant, l’expression en tamazight dans tous les canaux de communication.

      Pas la peine de replonger dans l’histoire, ni besoin de brandir des croix ou des croissants,

      Encore moins des signes particuliers,

      Pour parler et écrire, écouter et rêver, faire la révolution et grandir… dans la langue maternelle.

« Je veux être et vivre au présent, en tamazight et avec les miens, parce que l’éternité est la négation de la vie.

Et libérer l’ancêtre de son arrogance séculaire qui l’empêche de faire confiance à ses enfants qui ne demandent qu’à rejoindre l’humanité sans perdre son identité. »

 

                                Mhamed HASSANI septembre 1989

 

[1] Poète, dramaturge, rmancier, bilingue.

[2] Assemblée de village.

[3] Ensemble de code de vie des kabyles

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P
Elle parle et s'écrit.<br /> Se colore de notre caractère.<br /> Invente de nouveaux mots.<br /> Nous suit depuis la naissance.<br /> De l’exil.<br /> De l’errance.<br /> Reine en son palais.<br /> Elle n’a de roi.<br /> Que poète savant ignorant.<br /> Des mots de ses enfants.<br /> La langue va rêvant.<br /> D’elle à elle.<br /> Se parlant.<br /> Amoureusement.<br /> La passion la tue.<br /> La paix la revigore.
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M
merci mon ami Pierre pour tes mots sur la langue...