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de la tombe Lehsen au livre Bahbouh

10 Mars 2015 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité

De la tombe Lehsen au livre Bahbouh

 

Je reviens d’Alger[i], un peu plus vide ou un peu plus plein. Je ne saisis pas encore le changement qui se prépare en moi, ni la portée d’une sagesse ancestrale prise au cou par des charlatans modernes. Comme quelqu’un qui revient d’une visite votive sans offrande que ce temps consacré à un aller-retour dans un cimetière vide. Un tir à blanc ? Je ne sais pas.

 


[i] Où j’ai assisté à la veillée du quarantième jour du décès de Lehsen Bahbouh,  militant et AUTEUR d’une grammaire, d’un dictionnaire et de nombreux textes littéraires a mazighs décédé le 25 JANVIER 2015

       Dans l’autocar, je lisais un roman offert par mon ami Hocine Cheradi[ii]. Un roman qui avait un titre curieux, d’un auteur algérien[iii], un Chawi qui se raconte dans une langue française hautement maitrisée. Curiosité. La même, surement, qui a attiré mon ami féru de parler chawi. Je me suis plongé dedans et ce n’est qu’au chapitre VI, quand l’histoire commençait à prendre racine dans l’ingrate terre Chaouia sous la colonisation, que je me suis endormi. C’est l’histoire d’un jeune Chawi qui reviens de la deuxième guerre mondiale, enrichie par ce qu’il a vu : des hommes se soulever pour libérer leur pays, il a été à l’école de la résistance française et ce combat pour la liberté de l’homme l’a transformé et préparé pour la libération de son pays.

       Je me suis endormi sur l’image de cet Africain, comme le personnage auteur s’identifie, qui s’entête à s’installer sur sa terre ancestrale ingrate alors qu’il pourrait rejoindre les zones civilisées où il mènerait une vie plus facile. Non, il voulait vivre chez lui, dans ce lopin de terre rocailleuse ! Ce sentiment d’avoir un chez soi, d’être roi chez soi comme disait mon père, paix à son âme, « Ramène moi dans mon chez moi, même si ton chez toi est plus confortable je préfère mon chez moi où je ne doute pas de mon autorité ! Là où les éléments m’obéissent parce que je connais le rôle de chacun ! »

 

de la tombe Lehsen au livre Bahbouhde la tombe Lehsen au livre Bahbouh
de la tombe Lehsen au livre Bahbouh

Je reviens d’Alger, je n’ai pas vu Lehsen, j’étais surpris comme un enfant qui croyait que c’était un jeu de cache-cache. Mais j’ai vu ceux qu’il a laissés autour de lui. Des combattants fatigués, mais toujours à l’avant et souriants, des combattants avec un passé encombrant pour le présent qui les supporte mal et un avenir en queue de poisson. Des jeunes dont ses deux enfants, aux prénoms hautement symboliques, mais cela suffira-t-il pour subjuguer l’avenir ? Des jeunes, éblouis par le passé de leur père, qui n’ont jamais eu la prétention de l’imiter et qui se découvrent, un triste matin, une responsabilité pour l’avenir sans y être sérieusement préparé !

Retour d’Alger où j’ai laissé de jeunes hommes découvrir que leur père n’est pas une tombe, mais un livre ouvert sur l’avenir

.

Retour d’Alger. Je viens de confirmer que Lehsen Bahbouh est bien parti et enterré, mais, pas du tout oublié, pas du tout triste, mais, plus présent que jamais parce qu’il n’encombre plus les couloirs des urgences et des institutions, ni les salles de conférences. Il n’encombre rien. Après qu’on lui eût tout interdit, il cède tous les espaces officiels et sauvages pour mieux s’imprégner à l’air de son pays où il peut désormais circuler librement. Il est omniprésent dans les réseaux sociaux où il continue à partager ses réponses proverbiales, ses excès verbaux et sa générosité légendaire destinée aux gens du peuple où il a su recueillir la sève de l’arbre linguistique. Les laboratoires ont voulu des cobayes pour contrôler tamazight, ils n’avaient que faire des hommes libres qui veulent une langue de libération. Il habite désormais les ordinateurs, la toile en long en large et en profondeur, la toile et les cieux. Sa parole s’est libérée des contingences matérielles. Elle appartient aux hommes libres qui ne peuvent être formatés par des écoles qui préparent à la soumission par la promotion et la corruption.

Il s’est consumé dans ses derniers propos, il en a laissé pour chacun, pour tous ses amis virtuels, faux ou vrais, il s’en fichait, il distribuait sa parole à qui veut la lire, même à ceux qui ne l’aiment pas, qui se cachent derrière un académisme béat, pour ne pas entendre les rumeurs du peuple qui parle ta mazight depuis la nuit des temps ! Un académisme qui asphyxie au lieu de libérer, qui atrophie l’espace linguistique amazigh au lieu d’abolir les frontières et de regrouper les enfants de ta mazgha !

Dommage que ta mazight soit prisonnière de ses enfants qui la barricade alors qu’elle a toujours été libre ! Dommage qu’elle fasse les frais d’un choix d’alphabet alors qu’elle en a un bien né. Dommage que les diplômes servent à l’opprimer et à la tenir loin de ses locuteurs. Dommage, parce qu’elle commence à dépérir par manque d’oxygène ! Ce n’est pas dans un laboratoire qu’on cultive une langue, mais, bien en plein air, dans la vie quotidienne !

De retour d’Alger, réveillé de mon sommeil par un coup de frein impromptu.

J’ai laissé un autre ami extrêmement seul, un autre combattant que le temps malmène comme le défunt. Ils se sont battus pour ta mazight mais le temps n’arrive pas à les recycler comme les autres militants qui ont émergé après l’épisode des poseurs de bombes ! Oui, tous ont été recyclés, mais, eux, on ne cite leurs noms que pour mieux les oublier.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à digérer cette période de notre histoire contemporaine, à en tirer les leçons, toutes les leçons ? Que représente-t-elle ?

J’avais tenté une sortie en 1991 dans une revue associative en avançant qu’il s’agissait peut-être d’un débat d’école à ne pas occulter, des pistes de réflexion qui mériteraient approfondissement ?

Et puis ta mazight a toujours vécu en dehors des labos et a survécu à toutes les tentatives d’encagement!

Machinalement, j’ouvre mon Messenger pour lire le dernier message de Lehsen Bahbouh :

Xiprree iweli !

Mieux qu’hier

Oui, aujourd’hui doit être toujours mieux qu’hier, restons sur cette logique.

Mhamed Hassani

Poète et dramaturge

[i] Où j’ai assisté à la veillée du quarantième jour du décès de Lehsen Bahbouh, militant et AUTEUR d’une grammaire, d’un dictionnaire et de nombreux textes littéraires a mazighs décédé le 25 JANVIER 2015

[ii] Militant compagnon de Bahbouh, Haroune Medjeber et d’autres… et chercheur indépendant, auteur de deux ouvrages sur la modernisation et l’intégration de ta mazight dans son environnement.

[iii] « T’Fouda, Terre Africaine» de Boubaker ABDESSAMED (1975)

avant dernière fois qu'on a rendu visite Hocine Cheradi et Moi à Lehsen . la dernière fois c'était la veille de son départ, dans la salle des urgences.avant dernière fois qu'on a rendu visite Hocine Cheradi et Moi à Lehsen . la dernière fois c'était la veille de son départ, dans la salle des urgences.

avant dernière fois qu'on a rendu visite Hocine Cheradi et Moi à Lehsen . la dernière fois c'était la veille de son départ, dans la salle des urgences.

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