Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Enferment évolutif

18 Avril 2020 , Rédigé par Hassani Mhamed

Enfermement évolutif

       

        

     

              J’habite un logement de type évolutif, dans la cité des 99 logements évolutifs. La dénomination des cités est hallucinante en Algérie. Les chiffres font office d’identité anonyme. Je n’ai jamais compris pourquoi. Cela prouve l’absence complète de désir d’habiter chez les concepteurs de ces cités numériques. Elles ne sont pas destinées pour les concepteurs ni les réalisateurs ni les programmeurs, mais pour une masse anonyme qui s’engouffrera, sans se poser de question, dans ces cubes de béton, pour cacher sa misère. Cette population défavorisée se jettera sans réfléchir dans ces chantiers qu’elle habitera, selon ses moyens. Certains rapaces se seront sucré au passage, en s’en réservant un à revendre au plus offrant, et iront ailleurs bâtir leur espace, qu’ils habiteront très mal ou jamais, parce qu’ils sont trop occupés à capter l’argent facile.

      Habiter un logement évolutif dans une cité évolutive, sommes-nous des êtres évolutifs ? Allez m’expliquer cette définition ! Évolutif ! Cela renvoie-t-il à l’histoire de l’humanité ou tout simplement à l’histoire de l’habitation humaine ? Nos dictateurs éclairés ont usé de toutes les formules pour essayer de résorber le problème de l’habitat en Algérie. Grand challenge qui revient à chaque changement d’équipe gouvernementale ! Le cheval de bataille d’un système de gestion basé sur la rente pétrolière. Comment redistribuer la rente et se servir au passage ? La bonne équation ! La formule n’était pas chère mais a donné naissance aux nouveaux bétonvilles [1] !

       

        Ce que je sais, tout bénéficiaire d’un logement, quelle que soit sa dénomination ou la formule d’attribution ou d’acquisition, est chanceux, au pays du million et demi de martyrs, formule consacrée pour mettre en valeur notre nationalisme. Quand le bénéficiaire n’est pas nécessiteux, il ne voit pas l’abri mais la somme qu’il représente sur le marché de l’immobilier. Le logement est devenu le capital départ de beaucoup. Et depuis que j’ai bénéficié de cette carcasse, mon évolution a commencé, sur une soixantaine de mètres carrés, entourés de murs. Vous avez une adresse, point. Évoluez à l’intérieur comme vous voulez ! C’est depuis, que je cohabite avec les pigeons.

          Bon, il ne faut pas trop se plaindre, j’ai eu mon toit évolutif ! Soixante mètres carrés que je devais faire évoluer ! Eh bien, je l’ai fait évoluer vers un duplex, sans complexe mes amis, puisque le tirage au sort m’a fait tombé sur le dernier étage ! Tiens, par exemple mon voisin du rez-de-chaussée a évolué en largeur, il a débordé sur l’espace vert dont personne n’a jugé de l’utilité ! L’autre, en face, a fermé l’entre bâtiment pour en faire un abri pour son véhicule, il a dit que c’était pour la sécurité de la cité. Puis petit à petit, toutes les ouvertures furent fermées et les espaces verts annexés et la seule entrée de la cité fut dotée d’un portail géant. Les résidents se frottèrent les mains de satisfaction ! Nous voilà en sécurité !

        Le bac à ordure était dans la cité, jusqu’à son débordement quotidien et à l’occupation de tous les trottoirs, qui fit réagir les plus touchés. Il fut supprimé tout simplement et les ordures s’éparpillèrent un peu partout aux alentours de la cité ! Les plus conscients prirent leurs déchets jusqu’à la prochaine décharge qui déborda à son tour sur la ville…

       On fit des assemblées de résidents pour trouver la solution, mais d’aucuns ne voulaient prendre le droit chemin de l’organisation. Un syndicat d’initiative ou une association pourrait bien régler la distorsion ! Mais chacun voyait cette solution comme un avantage du président, qui pourrait les attaquer sur leur dépassement ! Donc ce n’était pas la solution ! 

       Timide, j’observais la contre évolution jusqu’au confinement, chacun dans son irrésolution et ses contradictions.

        Maintenant, que nous voilà en confinement pandémique, chacun sent l’incurie et la désolation. Qui va oser s’inquiéter de son voisin ou de son prochain, tellement les liens se sont distendus à cause d’un trottoir ou d’un vide sanitaire, un espace vert ou une ouverture…

à suivre : Le couple de pigeon                      

avril 2020

Mhamed HASSANI

 


[1] Le sociologue Sidi Boumedienne, auteur de « Bétonville contre Bidonville » indique que le terme de “bétonville” est un néologisme qui désigne toutes ces nouvelles cités-dortoirs construites en dehors des grandes villes.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article