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mes premiers pas avec Lehsen Bahbouh

9 Février 2015 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité

Monsieur Bahbouh Lehsen, grand militant et chercheur autodidacte de la langue ta mazight est l'auteur de la  grammaire "t irrigoemt", d'un dictionnaire et de nombreux textes littéraires où il met en pratique ses règles de grammaire et d'orthographe ta mazight. il est décédé le 25 janvier 2015 à Alger.
Monsieur Bahbouh Lehsen, grand militant et chercheur autodidacte de la langue ta mazight est l'auteur de la  grammaire "t irrigoemt", d'un dictionnaire et de nombreux textes littéraires où il met en pratique ses règles de grammaire et d'orthographe ta mazight. il est décédé le 25 janvier 2015 à Alger.

Monsieur Bahbouh Lehsen, grand militant et chercheur autodidacte de la langue ta mazight est l'auteur de la grammaire "t irrigoemt", d'un dictionnaire et de nombreux textes littéraires où il met en pratique ses règles de grammaire et d'orthographe ta mazight. il est décédé le 25 janvier 2015 à Alger.

(?)Sahki Hacène, Lehsen Bahbouh, Medjeber Smail,( ?), Cheradi Hocine et Mhamed Hassani (de gauche à droite) lors d'un atelier sur l'écriture de tamazight en marge des POESIADES de Bejaia (199?)

(?)Sahki Hacène, Lehsen Bahbouh, Medjeber Smail,( ?), Cheradi Hocine et Mhamed Hassani (de gauche à droite) lors d'un atelier sur l'écriture de tamazight en marge des POESIADES de Bejaia (199?)

" Il y avait bien, et il y a toujours, une course pour le contrôle de tamazight et non pour le développement de tamazight !"

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Mes premiers cours d’orthographe grammatical de Lehsen Bahbouh

première partie

Lehsen enterré ? Mais il n’y a rien à enterrer de lui, il a tout couché sur papier. Le petit amas d’os qui reste peut tenir dans un creux de main. Pourquoi alors tout ce monde ? C’est son esprit qui est lourd mon fils, c’est l’étendu de ses rêves qui nous mobilise, c’est la ténacité de son verbe qui résonne en nous, mon fils.

Mais on l’a déjà délesté de ses kilos de papier à sa sortie de prison ! Il a régénéré, mon fils, il est de la race des guerriers de l’esprit qui ne meurent jamais.

Et aujourd’hui, qu’adviendra-t-il de ses kilos de papier ? Seront-ils brûlés pour que l’hiver soit moins froid pour ceux qui ont horreur que la lumière les débusque derrière leurs lunettes fumées ?

Maintenant, le temps des urgences culturelles est passé, nous ne sommes plus pressés, nous allons reconstituer pas à pas le chemin tracé.

J’ai pris la fuite d’Alger ! Oui fuir, fuir le cauchemar algérois ! Je priais mon ami Cheradi Hocine, cet autre rescapé dont il faudra presser la mémoire avant l’instant fatidique, de me déposer à la gare. On essaya de me retenir pour la veillé, on m’invita à revenir pour le troisième jour... je ne voulais rien savoir. Je voulais fuir Alger.

Depuis l’affreuse nouvelle, même attendue, elle nous a assommés, nous n’arrêtions pas d’être désagréable l’un envers l’autre, pour cacher notre désarroi. Hocine hargneux comme jamais et moi détestable à souhait. Une culpabilité sans fondement ou une révolte réprimée nous empêchait d’accepter cette dure fatalité. Fuir, J’avais soif d’air pur, de mer agitée, de montagnes silencieuses... soif de retrouver Lehsen dans sa splendeur orthographique. Je tournais le dos à un monde qui me rappelait, dans chaque parole, chaque geste, chaque murmure, qu’un homme vient d’être arraché à la vie comme on arrache un arbre, laissant béante une terre fraîchement remuée. Qui de l’arbre ou de la terre souffre le plus ?

Dans le bus qui me ramenait vers Bgayet, je me remémorais les différents moments passés avec Lehsen. Je me rends compte que même le dictionnaire perso de l’androïde a enregistré ce nom propre. Je n'ai qu'à taper les trois premières lettres et le nom de mon ami s'affiche. Donc son image, son visage traverse les différentes périodes de nos rencontres toujours provoquées par un événement où ta mazight est le sujet central.

Première rencontre début1989.

J'ai entendu parler d'une conférence sur la grammaire et l'orthographe de tamazight organisée à l'université de Bgayet. Moi qui vivais mes premières expériences avec le lectorat kabyle à travers une exposition de mes poèmes, organisée par la fameuse association culturelle Soummam, disparue il est vrai depuis. Une association dont il serait intéressant de faire le bilan moral et culturel avant sa disparition après plusieurs numéros d’un festival qui a vu défiler des essaims de poètes entre anciens et nouveaux, dans les trois langues qui cohabitent dans une Algérie libérée, momentanément, de ses dictateurs, juste après l'ouverture d’octobre 1988 pour être livrée ensuite sans remord à tous les démons.

Ma première expérience publique de la pratique de l’écrit amazigh avec l’utilisation de tajerroumt léguée par feu Mouloud Mammeri, me confronta directement aux problèmes de transcription et de communication entre les différents locuteurs de notre langue ancestrale. J’ai vite déchanté. L’utilisation de tajerroumt depuis 1980 dans la clandestinité ne m’aide en rien au soleil. Ce n’était qu’une réponse d’urgence à une situation d’urgence comme le disait feu Mammeri. Devant ce refroidissement, je décidais de ranger mes manuscrits et de m’occuper à d’autres urgences professionnelles et sociétales telle que le syndicalisme et le mouvement associatif en pleine éclosion. Contribuer à ces nouvelles naissances plutôt que de gribouiller des poèmes illisibles d’autant plus que je n’étais pas porté sur la déclamation. Et puis je me disais, qu’il doit bien y avoir des spécialistes pour nous sortir de là, à moins d’un handicap congénital de la langue amazighe.

Puis, courant le premier trimestre 89, il y a eu l'annonce de la conférence de ce professeur que je ne connaissais pas. Je pris mon recueil de poésie dactylographié "ili" que j'appelais toujours "ghezifet aawaz yebdan s targit " (longue est la veillée qui commence par un rêve), titre que je lui avais donné à son édition clandestine (dactylographiée et tirée au stencil) en 1981.

Le recueil en main, je me rendis à la conférence dans l'intention de faire une dictée à ce monsieur.

Dans l’auditorium, le public estudiantin et externe était nombreux. Une université populaire pour tamazight, le rêve était-il en train de se réaliser ?

Le professeur Lehsen Bahbouh, maigrichon mais digne, un véritable point d’exclamation, déposa son gros cartable sur le bureau, en retira une brochure et sollicita notre attention.

J’étais tout ouïe et tout regard ; puisse cet exclamation faite homme me convaincre de l’existence de règles d'orthographe qui s'appliquent à cette langue que je m'apprêtais à remettre aux oubliettes. Comme en rêve, Je vis des pluriels réguliers, des verbes se classer en groupe et se conjuguer avec des formes régulières. Je vis les accents régionaux se dissoudre dans une orthographe unificatrice ; je vis les négations régionales prendre leur place dans les nuances de la langue. A aucun moment je n'ai entendu le professeur exclure une forme où une région tout en utilisant les mêmes règles, la même orthographe. Je vis naître sous mes yeux la notion de liaisons qui déformait nos mots mouvementés dans la phrase, je vis les différents temps de conjugaison se mettre en place sans que le professeur ne sorte des exemples de nos parlers au quotidien. J'étais emporté. Il restait un dernier test à mon cher prof. Comme du temps de mes classes, il me fallait bien mettre mon prof en difficulté. Aussi je me levais et demandais à monsieur Bahbouh, si je pouvais lui dicter un texte. Il me répondit, le regard brillant, ayant constaté que la salle lui était acquise : allons y, parlez et moi j'écrirais. Tout excité, convaincu de vivre un moment historique, je m'exécutais en gardant exprès mes accents du Sahel pour tromper sa vigilance.

Il écrivit le texte, qui n'était autre que l'ouverture de mon recueil « ILI ! » réédité en 2011, et je restais admiratif devant ce génie sorti de je ne sais quelle université. Je me retournais vers mon compagnon, en lui disant : tu sais je suis convaincu de sa méthode.

Je répétais la même chose à Monsieur Lehsen Bahbouh que je n’osais pas encore tutoyer. Il me remit des brochures et sa carte de visite qui portait le titre d’ « orthographiste » et l’adresse de son association-académie « langue et culture » (ilesee d idlesee).

Je rentrais chez moi surexcité. Ma femme me demanda ce qui se passait.Et moi je répétais : ça y est, nous avons une grammaire et une orthographe pour ta mazight. A partir d'aujourd'hui je reprends l'écriture...

Elle était un peu déçue de cette résolution dont elle ne voyait pas la portée.

Et je me mis à mes exercices. J’appelais quotidiennement mon maître pour des explications. Je profitais lors de mes missions à Alger pour lui rendre visite à l’entreprise où il travaillait.J’avançais vraiment bien dans cette nouvelle voie ; je me remettais à l’écriture ou je reprenais d’anciens textes que je soumettais aux règles de t irrigoemt, la nouvelle orthographe grammaticale de Lehsen Bahbouh. Jusqu’ici je ne connaissais rien de son passé ni de son parcours. Il était le professeur.

Mhamed Hassani

Poète et dramaturge

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