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Mes premiers pas avec Lehsen Bahbouh

9 Février 2015 , Rédigé par Hassani Mhamed Publié dans #articles parus dans le quotidien La Cité

Alors ce jour arrivera-t-il en Algérie où une institution scientifique, désintéressée de tout calcul politique, s’ouvrira pour regrouper et étudier tous les travaux de ses génies du peuple amazigh ?  Ce jour là, nous ne seront plus dans l’urgence mais bien dans le développement de Ta mazight

Alors ce jour arrivera-t-il en Algérie où une institution scientifique, désintéressée de tout calcul politique, s’ouvrira pour regrouper et étudier tous les travaux de ses génies du peuple amazigh ? Ce jour là, nous ne seront plus dans l’urgence mais bien dans le développement de Ta mazight

Mes premiers cours d’orthographe grammatical de Lehsen Bahbouh

deuxième partie et fin

Politiquement, l’année 89 démarrait avec des perspectives d’ouverture tous azimuts. Lessyndicats ouvraient des brèches et devenaient un véritable contrepoids dans les administrations et les entreprises. Des associations naissaient partout et j’allais partout sentir le pouls de la société battre ce renouveau salutaire. Sans me structurer dans aucune organisation, je contribuais à tout ce bouillon et ce brouillon qu’est notre devenir. Je repris quand même mon écriture de l’urgence avec tajerrumt en continuant à apprendre t irrigoemt.

Notre rencontre au premier festival Si Mouh ou Mhend à Larbaa Nait Iraten, durant l’été de la même année fut mémorable pour moi. Bahbouh voulait présenter une lecture critique des « isefra de Si Mouh ou Mhend » ! Quand j’ai lu la communication qu’il voulait donner j’en fus renversé ! Au moment où tout le monde chantait le plus grand des poètes lui le traitait d’analphabète ! J’ai eu du mal à le convaincre de présenter autre chose s’il ne voulait pas être lynché ! Il finit par donner une conférence sur sa grammaire qui passa très bien. Son nom commençait à être cité dans toutes les rencontres.

Ce premier festival de poésie amazigh nous permis vraiment de se rencontrer tous, de se connaitre et reconnaitre. Ce festival m’avait permis aussi de connaitre les plus grands noms des écrivains et poètes en tamazight et de les inviter au premier festival des « Poésiades » de Bgayet (Bejaia). Je citerais entre autres, Ait AmraneIdir, Hamane Abdellah, BenMohamed, Ghobrini et d’autres.

Durant ce séjour poétique à Larbaa Nait Iraten, il me raconta, entre autre, sa rencontre avec Mouloud Mammeri chez l’éditeur Bouchene où il corrigeait la dernière mouture de « InnayascixxMuhand U Lhusine ». « Mammeri tout étonné des explications que je lui fournissais sur t irrigoemt, me demanda : mais où as tu eu tout le temps de faire ces recherches sans que personne ne le sache monsieur Bahbouh ? Je lui répondis, mais en prison monsieur Mammeri. Il me promit de m’aider à éditer mes travaux et même de me préfacer ! ». Lehsen me montra même une carte postale de bonne année que Mouloud Mammeri lui a envoyée avant de partir au Maroc pour sa dernière conférence. Il lui conseillait d’aller voir l’éditeur public ENAG.

Durant ce festival, j’avais sur moi un petit recueil que je voulais publier sans trop savoir comment. Je lui proposais, en riant, de me le préfacer, en faisant allusion à la disparition inattendue de Mammeri qui l’a privé de son soutien. Je lui expliquais mon intention d’expérimenter toutes les transcriptions et de laisser le temps aux chercheurs et aux praticiens de débattre. C’est ainsi que je conçu mon « ahellil n tira » que je mis dans une plaquette de poésie intitulée « ARU ! ». J’y mis les transcriptions de Boulifa, Feraoun, Rahmani Slimane, Mouloud Mammeri et je clôturais par la dernière que je découvrais, en l’occurrence celle de Bahbouh Lehsen. Cet « ahellil » Tahar Djaout le présenta dans Algérie Actualité, comme une séance d’écriture. C’était au dernier trimestre 89.

Donc lorsque j’ai publié mon recueil de poésie «ARU ! » préfacé par Lehsen Bahbouh, j’étais tellement fièr de ce premier accouchement une année après octobre 88 que je me suis rendu, à la première association de tamazight de Bgayet pour leur proposer mon produit. Et là je compris que le parti unique avait fait des ravages dans la tête des Algériens. Quand on vit le nom de Bahbouh, on s’esclaffa et s’offusqua que ce Pehpouh figura au coté de Mammeri ! Je ne compris rien et me demandait où était l’insulte ? On alla jusqu’à me proposer de racheter les trois mille exemplaires que j’avais tiré pour en extraire les pages où figurait le nom de Bahbouh ! On me montra un tas de cendre et on m’expliqua que c’était les brochures de Bahbouh qu’ils venaient de bruler. Cela se passait au lendemain d’octobre 88, quand tous les espoirs étaient permis. Bahbouh a continué à défendre contre vent et marée, sa vision sans rien bruler. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’est surnommé « le Galilée de ta mazight ».

Devant une telle levée de bouclier, je ne pouvais me résigner d’autant plus qu’on venait juste de libérer la parole. Il fallait instaurer le débat, dépasser ces divergences sans complexe.

Je me mis à étudier davantage « t irrigoemt ». Lehsen venait d’Alger, il passait la nuit chez moi, on ne dormait pas.Il m’apprenait ta mazipt. Au petit matin, il reprenait le bus pour retourner à Alger.

Puis, il m’expliqua que personne ne voulait imprimer son livre, dans tout Alger ! Même en France il s’est fait escroquer…par un Algérien !

Devant ce blocage, je pris l’initiative d’investir une association communale, avec des copains, que nous avons refondée au nom de l’illustre Rahmani Slimane. C’est dans ce cadre associatif que nous avons édité « t irrigoemt» la nouvelle orthographe grammaticale de ta mazipt par Lehsen Bahbouh.

La publication de l’ouvrage de Lehsen Bahbouh provoqua une levée de bouclier insoupçonnée. On entendit et lu toutes sortes d’inepties. On l’accusa de tous les maux, de la trahison à la division, comme d’ailleurs Haroun et Cheradi qui eux aussi avaient des propositions différentes en matière de transcription.

Et là !de conférence en conférence, la méthode Bahbouh commençait à se populariser sans quelle soit appliquée sur le terrain vue l’influence politique des élèves de feu Mammeri qui utilisèrent son nom comme bouclier à toute autre proposition. Néanmoins, sur le terrain pratique, des transcriptions intermédiaires voyaient le jour. Je pensais que cette profusion était un signe de santé et qu’il fallait encourager cette réappropriation de la langue sans trop tenir compte des systèmes utilisés. Les associations, surtout, répondaient à l’urgence des revendications dans la langue locale sans se compliquer la vie. Rédiger une déclaration dans la transcription de Rahmani Slimane ou Feraoun rapprochait les générations et faisait avancer les revendications socio-économiques. En un mot, utiliser la langue du peuple pour revendiquer c’était avancer à grand pas vers l’officialisation de tamazight par en bas ! Et pendant ce temps, que ceux qui écrivent, perfectionnent leur écriture progressivement pour surement aboutir un jour à une conformité sans rupture.

Mais les temps durs ne laissèrent pas les fils se démêler comme on l’espérait.

Aussi, grâce à l’association Rahmani Slimane d’Aokas, le livre de grammaire de Lehsen Bahbouh a vu le jour ! Ce qui a rendu publique un débat étouffé. La levée de bouclier ne s’est pas fait attendre. Dès sa première intervention dans la presse, il se fit traiter de tous les noms d’oiseaux ! on ira jusqu’à dire qu’il travaillait pour les services, qu’on lui a fait un lavage de cerveau en prison pour détester Mammeri... lui le maigrichon père de deux enfants, vivant chez ses beaux parents et obligé de faire un petit boulot après sa retraite, pour arrondir ses fins de mois !

Depuis ce n’est qu’une descente vers les bas-fonds de tamazight.

Avec la création du HCA, Bahbouh pensait qu’on allait au moins lui éditer ses ouvrages. Rien ! Mais de quel droit X ou Y pouvait refuser d’éditer les travaux d’un militant et chercheur de la première heure, décider ce qui est bon ou mauvais à la place de tous les amazighs ?

Il y avait bien, et il y a toujours, une course pourle contrôle de tamazight et non pourle développement de tamazight !

Une fois, dans un colloque international sur la langue tamazight (à Ghardaia), où les organisateurs avaient posé comme postulat que « seuls les universitaires avaient droit à la parole » Lehsen Bahbouh a quand même pu arracher cinq minutes de communication grâce à la gentillesse de madame Malika Ahmed Zaid. Malgré les railleries des universitaires locaux, les invités étrangers trouvaient fort intéressantes ses propositions. J’ai questionné un éminent linguiste italien présent, sur les missions de l’académie de la langue italienne ; il me répondit que l’académie était tenue de recueillir tout ce qui se produisait en italien quel qu’en soit l’auteur du texte, d’en étudier la teneur et de se prononcer sur la valeur. L’auteur du texte était rémunéré suivant le nombre de pages au dépôt de son ouvrage. Ce n’était pas aussi compliqué !

Alors ce jour arrivera-t-il en Algérie où une institution scientifique, désintéressée de tout calcul politique, s’ouvrira pour regrouper et étudier tous les travaux de ses génies du peuple amazigh ?

Ce jour là, nous ne seront plus dans l’urgence mais bien dans le développement de Ta mazight.

Mhamed Hassani

Poète et dramaturge

Mes premiers pas avec Lehsen Bahbouh
Mes premiers pas avec Lehsen Bahbouh
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